31 janvier 2010

Homélie du 17 janvier 2010 ; l'unité de l'Eglise

Homélie du 2ème dimanche du Temps Ordinaire - année C
Je voudrais ce soir vous raconter deux anecdotes : elles ne sont pas de même nature, mais toutes deux apportent des éléments de formation pour entrer dans cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens. J’ai vécu moi-même la première, et la seconde m’a été contée la semaine dernière, par une religieuse de Jérusalem …

1ère anecdote : Nicolas à Gethsémani.
Lorsque je suis arrivé à Jérusalem, il y a dix ans, pour faire des études bibliques et archéologiques, j’avais depuis assez longtemps l’habitude de consacrer une heure, chaque jeudi soir, à l’adoration eucharistique. C’est donc assez naturellement (la force de l’habitude, peut-être) que j’ai demandé au prieur du couvent des dominicains la permission d’exposer le saint-Sacrement le jeudi soir, pendant une heure. Quelques jours après que la permission me fut accordée, un vieux prêtre qui me paraissait fort sage me dit : « tu sais, Emmanuel, je ne sais pas si tu as bien fait de lancer cette adoration, vis-à-vis des protestants, c’est sans doute maladroit, ils n’ont pas cette habitude, et c’est mauvais pour l’œcuménisme … ». J’étais préoccupé, car tiraillé entre la joie et la force que m’apportait l’adoration d’une part et d’autre part le conseil d’un homme d’expérience qui allait dans le sens inverse …quelques jours plus tard, alors que ladite conversation m’était sortie de l’esprit, j’annonce à table, un dimanche, que je vais célébrer la messe à Gethsémani ; aussitôt, le seul étudiant protestant de la maison, avec qui je m’entendais fort bien, me dit « je viens avec toi ! » ; nous voici donc tous deux marchant vers Gethsémani, à vingt minutes de marche de l’Ecole. A la fin de la messe, le franciscain qui était de service annonce une demi-heure d’adoration suite à la messe ; je vais donc discrètement voir mon « confrère » étudiant et je lui glisse que je vais, pour ma part, rester à l’adoration, et lui suggère de « faire ce qu’il veut », persuadé qu’une telle prière le rebuterait beaucoup ; « je reste », me dit-il ; à la fin de l’adoration, nous remontons tous deux vers l’Ecole, et il me confie : « pendant l’adoration, j’avais des pointes dans le cœur » ; je traduis : ce garçon a été touché par une grâce venant de la passion du Christ, à Gethsémani ( !), durant une très catholique adoration du Saint-Sacrement …

Je racontais cette histoire à un prêtre plein de sagesse que je connais et qui n’est pas de la paroisse : « mais oui, bien sûr ! Me dit-il, l’adoration fait partie du trésor de l’Eglise Catholique, il faut non seulement la conserver, mais l’offrir aux autres confessions comme un cadeau »

De cet épisode, je tire une conclusion très simple : Au lieu de rogner des petits morceaux de foi catholique pour pouvoir créer une plateforme commune avec les autres confessions chrétiennes, il est plus épanouissant, plus juste et surtout plus efficace, de rester ce que nous sommes, de cultiver les trésors qu’il y a chez nous, et de les offrir à nos frères chrétiens qui en sont dépourvus, éventuellement, en raison de leur tradition propre.

Bien entendu, la loyauté exige que nous soyons capables du mouvement inverse : recevoir des autres confessions (orthodoxes et protestantes notamment) le trésor qu’elles ont su développer, et qui , bien qu’existant depuis toujours chez nous, ont connu un certain « sommeil », notamment dans la pratique habituelle des fidèles.

A vrai dire, il y a tout ce qu’il faut chez nous, pour connaître Jésus-Christ, l’aimer et en être sauvés (c’est le premier sens du mot « catholique » « qui recèle tous les moyens de salut » … « universel » est le second sens de ce mot, et il va bien avec le premier sens) ; il y a tout ce qu’il faut, mais il y a tout de même des points d’attention dans d’autres traditions qui sont de nature à nous faire grandir, outre que la prière pour l’unité, c’est la prière de Jésus (« que tous soient ‘un’», disait-il déjà il y a 2000 ans …), et nous ne devons pas nous habituer à être divisés …

Je crois qu’on peut comparer l’oecuménisme aux efforts que font les époux pour s’ajuster l’un à l’autre : être unis, pour des époux, ce n’est pas pour l’homme être un peu moins homme pour s’adapter à sa femme ou pour la femme un peu moins femme pour s’adapter à son mari, mais c’est au contraire être pleinement homme et pleinement femme pour que l’unité soit un enrichissement et non une frustration qui ne produirait rien de bon.

Lorsque le Concile Vatican II aborde la question de l’œcuménisme, il l’aborde de très belle manière, dans le document Unitatis Redintegratio, disponible sur ce blog et facilement sur Internet. Ce document se réjouit des initiatives déjà existantes et il énonce –je cite- « les principes catholiques de l’œcuménisme » (autrement dit, le point de départ est bien la foi catholique, le trésor qu’est le nôtre) ; dans un troisième temps , il énonce les points communs entre toutes les confessions et les trésors qui se trouvent dans d’autres confessions, et enfin, il énonce quelques règles pour bien vivre l’effort vers l’unité.
Voici une partie de la conclusion de ce beau document :
« C'est ainsi que maintenant, après avoir exposé brièvement les conditions d'exercice de l'action œcuménique, et indiqué les principes qui doivent la diriger, nous tournons avec confiance le regard vers l'avenir. Le Concile exhorte les fidèles à s'abstenir de toute légèreté, de tous zèle imprudent, qui pourraient nuire au progrès de l'unité. Leur activité œcuménique ne peut être, en effet, que pleinement et sincèrement catholique, c'est-à-dire fidèle à la vérité reçue des Apôtres et des Pères, et conforme à la foi que l'Église catholique a toujours professée … »

2ème anecdote : Jean-Paul II au Calvaire
J’ai une autre anecdote à vous offrir, qui me fut contée la semaine dernière à Jérusalem. Lors de son voyage en Terre Sainte, le Pape Jean-Paul II suivait un itinéraire minuté, comme on l’imagine, tout étant calculé pour que toutes les sensibilités soient respectées ; le dernier jour, il déclare : « je veux aller prier au Calvaire … » ; on essaye de l’en dissuader, en raison du fait notamment que le calvaire est « tenu » par les grecs orthodoxes, raison pour laquelle le programme officiel l’avait soigneusement évité ; mais le Saint-Père redit son intention d’aller y prier ; branle-bas de combat, on ferme les boutiques, on bloque les rues, et le pape arrive au pied des nombreuses marches qui montent vers le Calvaire ; arrivé en haut des marches, le malheureux homme est tout essoufflé, et le moine grec, qui vient à peine d’apprendre que le pape est arrivé, ne sachant pas quoi faire pour l’accueillir, lui propose de s’asseoir sur l’énorme fauteuil qui est à droite en entrant ; ce fauteuil est strictement réservé au patriarche grec, et quiconque, même par mégarde, s’y assoit crée facilement une esclandre, surtout s’il n’est pas grec ; mais le moine n’a pas su résister au vénérable Jean-Paul II, et aucun incident n’eut lieu, on sentait bien qu’il n’y avait aucune provocation, et que le Pape souhaitait prier et s’imprégner en pèlerin de la grâce des lieux ; on alla chercher chez les franciscains un siège catholique (ça existe !), et le pape eut la délicatesse de quitter dès qu’il le pu le siège de l’autre patriarche …

La sainteté est forcément œcuménique ; ce n’est pas l’œcuménisme qui produit la sainteté, c’est plutôt le contraire : un saint, c’est un homme unifié, et qui par conséquent, rayonne et diffuse l’unité qu’il a à l’intérieur de lui-même.

N’ayez pas peur d’être des saints, vous serez des artisans d’unité et de paix. Amen

P. Emmanuel d'Andigné

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