26 mars 2010

Homélie du 21 mars 2010 - distinguer le péché du pécheur

Homélie du 5ème dimanche de carême - Année C (Saint Luc)

Je suis comme vous : lorsque j’entends cet Evangile, je voudrais d’abord souligner une injustice. En effet, on dénonce la « femme adultère », mais pas l’homme avec lequel elle l’a commis … injustice d’une époque, sans doute, mais Jésus, justement, ne s’y laisse pas enfermer, montrant à quel point son message est moderne, et de tous les temps. Il rétablit l’équilibre, en effet, lorsqu’il fait (c’est le cas de la dire) d’une pierre deux coups : il ne réfute pas que l’adultère, offense faite au 6ème et au 9ème commandement, est un péché, mais il rappelle à tous ces hommes qu’ils sont aussi tenus d’observer non seulement ces deux-là, mais aussi les huit autres ! En outre, on se souvient de la fameuse phrase que Jésus a prononcée au cours d’une parabole : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans le tien ! (Luc, 6,41) ». Encore une fois, jésus ne dit pas qu’elle n’a pas péché, il condamne l’adultère, et nous devons le condamner encore aujourd’hui. Cependant, Jésus ne condamne pas celle qui le commet, établissant une distinction très éclairante entre péché et pécheur …

La société dans laquelle nous vivons, qui a ses forces et ses faiblesses, a en tous les cas un grand handicap : elle s’est éloignée de Dieu, et elle ne connaît plus sa Parole. Elle ne sait plus ce que Jésus a dit sur le péché. Elle nous obligerait presque à choisir entre deux camps : le camp des purs et durs, qui dénoncent le péché et qui soi-disant n’en commettent jamais, et le camp des doux et mous, qui ne dénoncent pas le mal, mais qui du coup s’installent dans le péché. Saint Augustin, lorsqu’il commente cet Evangile, fait remarquer que Jésus ne dit pas qu’il faut lapider, car il est bon, mais il ne dit pas non plus qu’il ne faut pas lapider, car il y a péché, et qu’il ne veut pas se compromettre avec l’injustice. Cela signifie que aucun des deux « camps » dont j’ai parlé n’est bon : nous devons être durs avec le mal et bons avec les personnes.

Cela me fait penser à deux choses : nous devons être, tout d’abord, dans le monde d’aujourd’hui, des « experts de l’Evangile », afin de savoir comment répondre à ceux qui nous interrogent sur le péché, le mal, le pardon … à partir de l’enseignement du Christ. Ensuite, il est bon de nous rappeler que le sacrement du pardon contient en lui-même une véritable éducation spirituelle, dans un processus qui compte quatre réalités successives :

1) Dieu nous aime

2) Et donc il déteste mes péchés, puisque mes péchés me défigurent, et m’empêchent d’être pleinement heureux

3) Il me révèle alors, il me montre mes péchés (« Tous ceux que J'aime, Je leur montre leurs fautes et Je les châtie. Allons ! Un peu d'ardeur et repens-toi ! [Apocalypse, 3, 19] »)

4) Et enfin, il a la joie de nous pardonner, il distingue en nous le péché et le pécheur, le mal et la merveille que chacun de nous est à ses yeux.
Avez-vous conscience que Dieu s’émerveille de vous ? De chacun de vous ? Il n’est pas « gaga », il s’émerveille : il voit et la merveille et tout ce qui la défigure. Il s’émerveille, car quand Dieu nous regarde, il voit l’image de son propre Fils en nous, il se voit comme dans un miroir. Il désire ardemment nettoyer le miroir pour s’y voir mieux.
Le Curé d’Ars disait : « chaque jour Dieu veut nous pardonner … et rien n’est plus facile que de se sauver, …Dieu nous presse et nous poursuit, … lui qui nous as créés il veut nous pardonner ».
Je souhaiterais vous raconter un détail de mon récent voyage en Israël : nous étions convenus, avec les Père Dominique et Laurent, de célébrer un jour une messe au cours de laquelle nous pourrions renouveler les promesses de notre ordination, prononcées il y a dix ans. Dans la matinée qui a précédé, un jésuite accepta de nous recevoir, chacun une demi-heure, afin que nous puissions nous confesser et parler un peu. A la fin de ces quatre-vingt minutes de confessions, nous étions tous trois transformés, et à la vérité légers et heureux. Légers d’avoir déposé tout fardeau (souffrance et péché), heureux de nous retrouver les uns les autres d’un manière plus théologale. « Théologal » signifie « qui met en relation directe avec Dieu » : en nous greffant, grâce à ce sacrement, sur le Christ, nous avons un peu plus encore basé notre amitié sur le lien spirituel, plutôt que d’en rester à la simple complicité des camarades d’ordination, ou simplement à la compréhension plus facile entre prêtres de la même génération. Ce que je vous souhaite, à tous, c’est d’être vous aussi, grâce à ce carême et à votre confession, légers et heureux ! Et nos relations, dans la paroisse, pourront être davantage « théologales », et donc plus profondes.

Il y a un vrai bonheur à connaître Jésus-Christ, et à nous laisser transformer par lui. Saint Paul nous a fourni, dans la deuxième lecture, de quelle manière procéder : communier à ses souffrances, reproduire en nous sa mort, et enfin, éprouver la puissance de sa résurrection. « Oubliant ce qui est en arrière, et lancés vers l’avant », profitons de ces deux semaines qui nous séparent de Pâques pour approfondir notre conversion, en compagnie de la Reine de Anges, notre mère bien-aimée, la très sainte Vierge Marie, qui nous guide si bien vers la Pâque de son Fils.

P. Emmanuel d'Andigné

18 mars 2010

Homélie du 14 mars 2010- le Père Prodigue

homélie du 4ème dimanche de Carême, année C (Saint Luc)

Au milieu de ce carême, saint Paul dans la seconde lettre aux Corinthiens nous exhorte : « Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu ».

Il nous invite à une démarche personnelle :

• Réconciliation d’abord avec nous-mêmes, avec nos faiblesses, nos forces, nos actes bons ou mauvais. C’est reconnaître quelle personne je suis, cette personne que le Seigneur aime.

• Réconciliation ensuite avec nos frères. C’est porter sur l’autre un regard d’amour et de compréhension. Accepter les qualités et les imperfections. Recherchons avant tout ce qui nous rassemble pour agir et avancer en frères, plutôt que nous attarder sur ce qui nous divise.

• Réconciliation enfin avec Dieu. Osons faire la démarche de nous approcher du Seigneur pour demander et recevoir son pardon, et prendre résolument un chemin de conversion.

L’évangile de ce jour est celui que l’on nomme habituellement « la parabole du fils prodigue » comme si son frère avait une conduite parfaite et n’avait rien à se reprocher. C’est plutôt la parabole du père et de ses deux fils, le personnage central étant le père qui les accueille d’un même amour.

Les deux fils sont à l’apparence bien différents mais la relation qu’ils entretiennent avec leur père est entachée par une gestion comptable des avantages qu’ils peuvent en tirer.

• Le cadet a demandé ce qui lui revenait. Il a joué et il a tout dépensé. Il espère sans trop de certitude que son père acceptera de changer la règle du jeu et l’embauchera comme ouvrier. En revenant à la maison, il pense avoir tout perdu.

• L’aîné de son côté a travaillé depuis tant d’années sans jamais désobéir et se plaint de n’avoir reçu aucune récompense, ni chevreau, ni prime exceptionnelle. Et c’est son frère qui touche le gros lot après ce qu’il a fait. En restant à la maison, il pense, lui aussi, avoir tout perdu.

Le père est très loin de ces considérations. Pas d’hypothèses, pas de calculs, pas de questions.

Le Seigneur pardonne nos erreurs, nos chutes à répétition, quelle que soit notre faiblesse et quels que soient nos échecs. Le père ne laisse pas le temps à son fils cadet de s’expliquer, il se jette à son cou, le couvre de baisers et fait tuer le veau gras. C’est un amour total, gratuit et sans contrepartie. Il fait une croix sur le passé : « Mon fils qui était mort est revenu à la vie. Il était perdu. Il est retrouvé ».

Si le fils aîné avait fait le même chemin que son père, si il lui avait été fidèle en pensée et en esprit, s’il avait vécu la même qualité d’amour, il aurait dû lui aussi se réjouir de voir son jeune frère reprendre le chemin de la maison et reconnaître ses fautes. Au lieu de cela il s’emporte et réclame ce qui à ses yeux lui est dû. Il est jaloux, il n’aime pas. Le père ne répond à son fils aîné rempli de colère et de jalousie que pour lui donner la preuve de son amour : « Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ».

Essayons de nous regarder bien en face : nous sommes tantôt le fils aîné, tantôt le fils cadet et nous avons du mal à sortir de cette logique alors que tout au long de l’Écriture, Dieu ne cesse de nous convaincre d’abandonner l’image que nous avons de lui, un Dieu qui tiendrait des comptes, un Dieu gestionnaire de nos actes, pour que nous comprenions qu’il nous donne tout son amour dès que nous faisons un pas vers lui.

Nous sommes le fils aîné lorsque nous avons une mentalité de pharisiens. Nous aimons la justice et trouvons normal que le bien et l’effort, et non le contraire, soient récompensés à leur juste valeur. Mais c’est bien là que le Seigneur nous attend : il nous invite personnellement à quitter définitivement cette mentalité de justice pour passer à une mentalité de miséricorde. C’est la seule qui puisse nous faire grandir dans cet Amour que Dieu a pour nous-mêmes et pour les autres.

Nous sommes le fils cadet lorsque nous tardons à reconnaître nos fautes, à prendre un chemin de conversion et à demander le pardon du Seigneur.

Demandons au Seigneur, au milieu de notre carême, de recevoir la grâce de le reconnaître tel qu’il est dans la parabole de ce dimanche et d’être de vrais fils vivant de son Amour miséricordieux.
Ainsi soit-il.

Jean-Paul Rousseau, diacre

08 mars 2010

Homélie du 07 mars 2010-Marie est le buisson ardent

Homélie du 3ème dimanche de Carême - année C (Saint Luc)
Au moment où, avec l’EAP, nous avons programmé la préparation à la consécration mariale, nous n’avions pas pensé à deux choses, qui s’avèrent intéressantes aujourd’hui :

Le 07 mars, c’est la veille du 8 (mais oui !), 08 mars, journée de la femme, et s’il y a bien une femme qui a réussi sa vie, c’est la Vierge Marie, toutes les réflexions sur la féminité devraient partir de là.

Et puis, nous sommes au troisième dimanche de carême qui est surnommé « le dimanche de Moïse », comme par exemple le 2ème dimanche de Carême était le dimanche « d’Abraham », « dimanche de Moïse », donc, qui nous fait contempler l’épisode fameux du buisson ardent.

Dès le IVe siècle, les Pères de l'église d'Orient ont vu dans ce buisson en flammes qui ne se consumait pas l'image de la maternité virginale de Marie : comme le buisson brûle sans se consumer, Marie, ayant reçu le feu de l'Esprit, est restée vierge après avoir conçu et enfanté le Christ. La liturgie déclare pour les 1ères vêpres du 1er janvier : « Dans le buisson qui brûlait sans laisser de cendres, Moïse déjà te contemplait, Vierge toute pure, Sainte Mère de Dieu, intercède pour nous »

Et ainsi, pareillement, en recherchant dans l’Ancien Testament, tout ce qui pouvait annoncer et imager le Christ, la fameuse « typologie », les Pères de l’Eglise ont trouvé plusieurs images qui illustraient le rôle de Marie (une typologie de Marie !).

Le buisson ardent (Exode, chapitre 3), le bâton d'Aaron (Nombres, chapitre 17), l’Arche d’Alliance (Exode ), le Tabernacle (Exode, Deutéronome ) etc …

Toutes ces images ont un point commun, qui nous permettra d’aborder la conversion du carême de deux points de vue complémentaires, l’un plus « masculin », et l’autre plus « féminin ».

Le point commun, c’est que toutes ces images nous montrent que la présence de Dieu lui-même a toujours eu besoin d’un support matériel, visible, qui semble tour à tour plus grand que Dieu et inférieur à lui, bien sûr, mais qui est indispensable pour que Dieu se manifeste aux hommes.

Ce que Moïse a vu, ce jour-là, le buisson ardent, ce n’est pas Dieu -on ne peut pas voir Dieu, ce qu’il a vu, c’est le buisson et le feu ; ce que Moïse voyait dans la Tente de la rencontre, c’était la Tente elle-même, pas Dieu, qui pourtant était là ; ce que nous voyons, dans notre « Tente de la Rencontre » à nous, le tabernacle, c’est le lieu de la présence du Christ, pas la présence elle-même, qui n’est accessible qu’aux yeux de notre cœur. Il faut bien que l’on voit quelque chose pour que la venue de Dieu soit visible, et la Vierge Marie joue alors un rôle déterminant : lorsque Dieu s’est incarné en Jésus, il a pris chair de la Vierge Marie : autrement dit, elle a donné à Dieu sa visibilité, en recevant en elle le feu de l’Esprit Saint

Evidemment, pendant les neuf mois de sa grossesse, c’est elle que l’on a vu, elle qui prenait plus de place que son Fils, matériellement, visiblement et pourtant il se trouve que lorsque l’on voit une femme enceinte, l’enfant que l’on devine de plus en plus clairement efface presque sa mère, et c’est la future naissance qui prend toute la place : on ne voit plus pratiquement dans cette femme que celui qu’elle met au monde.

Ce qui est vrai en général l’est particulièrement avec la Très sainte Vierge Marie : elle est beaucoup plus visible que Dieu, plus accessible que lui, plus facile à voir, elle est toujours là lorsque Dieu s’y trouve, elle semble prendre beaucoup de place, mais pourtant personne ne s’y trompe, elle s’efface devant Jésus.

Venons-en à la conversion : à Lourdes, La Vierge demandait à ste Bernadette de prier pour les pécheurs, et on dit que son visage devenait triste à l’évocation de ce sujet. La tristesse et la prière, le chapelet et l’apparition, telles sont les armes que Marie utilise pour nous inviter à la conversion. En réalité, elle utilise ces armes davantage féminines, comme complément, indispensable, au discours de Jésus qui lui est plus viril …

Il s’agit d’un discours, musclé, d’avertissement, et qui répond, en fait, à deux questions. 1ère question : le malheur est-il une punition de Dieu pour le mal ? 2ème question : pourquoi faudrait-il se convertir ?

La réponse que Jésus donne à la première question « le malheur est-il une punition de Dieu ? » n’est pas si simple …

Il commence par répondre clairement non : le malheur qui s’est abattu sur Haïti ou celui qui a ravagé l’Asie du Sud-Est il y a quelques années ou alors le massacre des galiléens ou les habitants de Jérusalem à l’époque de Jésus ne sont pas des punitions de Dieu. Jésus l’a dit également à propos de l’aveugle de naissance, ce qui veut dire que au plan personnel comme au plan global, il n’y a pas de punition divine.

En revanche, ce que Jésus souligne, c’est que le péché contient en lui-même le principe de sa destruction, et que, sans que Dieu n’ait besoin d’intervenir, celui qui pèche va sa perte et cette perte est comparable aux catastrophes de l’époque de Jésus ou des nôtres. Lesdites catastrophes peuvent permettre à un pécheur de se « réveiller » et de s’apercevoir des catastrophes intérieures …

« Est-ce donc la mort du méchant que je désire, déclare le Seigneur, n'est-ce pas plutôt qu'il se détourne de sa conduite et qu'il vive ? Je ne prends plaisir à la mort de personne, déclare le Seigneur : convertissez-vous et vivez. » , dit le prophète Ezéchiel
La conversion est une “transformation radicale de l'être vérifiée dans des fruits”. L’expression est du frère Tanguy-Marie de la communauté des béatitudes. Elle montre bien ce que Dieu veut : nous faire porter du fruit (comme le bâton d’Aaron) ! Voilà la réponse à la deuxième question (« pourquoi se convertir ? ») : pour porter du fruit, rendre le monde meilleur, transformer la société en transformant sa famille, son entreprise, son école, sa classe, son équipe ACI, son équipe Notre-Dame, en se réformant soi-même surtout, et en faisant tout ce qui est possible à son niveau, pour que l’Evangile colore la société, lui donne un parfum de Dieu …

La préparation à la consécration mariale selon Saint Louis-Marie Grignon de Montfort (que nous allons lancer cet après-midi), consiste en trois étapes cohérentes : « se vider de l’esprit du monde (ce qui veut dire chasser de soi tout ce qui fait obstacle à la suite du Christ » / « connaître Marie » / « connaître Jésus ». Les deux dernières étapes sont donc marquées comme par une certaine « féminité » puis par une certaine « virilité », pour se tourner ou se retourner vers Dieu (la conversion ! ), de sorte que tout nous est donné, vraiment, pour réussir notre conversion et donc notre carême !

P. Emmanuel d'Andigné