Homélie du deuxième dimanche du Carême - Année A
Après avoir écouté cet Evangile avec vous, je voudrais noter trois choses : la première est belle, la seconde est étrange, et la troisième est instructive
D’abord, la chose belle ; Pierre déclare : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ». Je crois qu’il y a deux grâces, être avec Dieu (c’est déjà une source de grâce, aucun doute), mais il y a aussi se rendre compte qu’on est avec lui et que c’est bon d’être en sa présence (« Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ») ... Je formule le vœu, en ce début de carême, pour vous et pour moi, d’avoir cette double grâce : être avec lui, et se rendre compte qu’il est bon d’être ici, maintenant, dans cette église, car nous pourrions être ailleurs, à courir après du vent, mais nous sommes là et c’est bon pour nous ; « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici »
Voilà pour la belle chose. Ensuite, je voudrais m’attarder sur un verset étrange
« Il parlait encore, lorsqu'une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Une nuée lumineuse qui les couvre de son ombre … ils sont éclairés ou recouverts d’une ombre ? C’est étrange, non ??? Pour résoudre cette difficulté, il faut procéder en deux étapes, je crois : dire quelle est cette nuée, et ensuite expliquer pourquoi elle éclaire et assombrit en même temps (ce qui est bien utile en période de carême)
La première chose que l’on peut affirmer sur cette nuée, c’est que c’est la même que celle de l’Exode. Nous le savons par les versets précédents, qui nous parlent de Moïse. Il est bon de rappeler que cette nuée (Autrement dit un nuage !!!) était le signe visible de la présence de Dieu, et qui menait le peuple hébreu pendant son Exode
Ex 13:20- Ils partirent de Sukkot et campèrent à Étam, en bordure du désert. Yahvé marchait avec eux, le jour dans une colonne de nuée pour leur indiquer la route, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu'ils puissent marcher de jour et de nuit. La colonne de nuée ne se retirait pas le jour devant le peuple, ni la colonne de feu la nuit.
Et c’est pourquoi, très tôt dans l’histoire de l’Eglise, on a parlé de Jésus comme du « nouveau Moïse » et on s’est prêté à un petit jeu fort simple, pour comprendre ce que Jésus est venu faire sur la terre … le jeu consiste à regarder de près ce que fit Moïse, et d’en déduire ce que Jésus a apporté, non d’une manière transitoire, mais d’une manière définitive. A vrai dire, c’est Jésus lui-même qui nous a mis sur cette piste : les 40 jours qui passe au désert… notre carême est une imitation des 40 jours qu’il y passa, et ces 40 jours sont une imitation des 40 ans que le peuple hébreu a passé au désert pour apprendre la liberté
A partir de ce principe, il suffit de dérouler la pensée au fil du texte … L’Egypte, lieu d’esclavage et de nourriture, représente l’Enfer et le mal ; Pharaon est Satan ; Moïse, c’est Jésus ; le passage de la mer, c’est le baptême ; le désert des 40 ans, c’est l’apprentissage de la liberté. Etre libre du péché est une lutte qui peut être sanglante ! Il y a également un détail dans l’Exode, qui n’est pas inintéressant : la mention des « petits oignons », que les hébreux libres mais un peu affamés regrettaient quelque peu … autrement dit, le péché a parfois un petit goût d’oignon, immédiatement agréable et finalement décevant ! Bernanos disait : le Diable, voyez-vous, c’est l’ami qui ne reste jamais jusqu’au bout. La terre promise, c’est le Ciel, obtenu par le baptême et la persévérance … et le temps pascal, pour nous aujourd’hui, c’est le Ciel anticipé, la vie éternelle déjà commencée. Celui qui nous guide, en plus de notre « nouveau Moïse », cette nuée, c’est le Saint-Esprit : nous le savons parce que dans cet Evangile, il y a Jésus, la voix du Père et donc le Saint-Esprit …
L’étape suivante du raisonnement consiste à se demander pourquoi cette nuée est à la fois lumineuse et assombrissante. Eh bien, c’est parce qu’il y a deux sortes de lumières : les lumières terrestres et la lumière céleste. La foi est une vertu qui nous permet d’habituer nos yeux à une autre lumière que celle à laquelle tout le monde a accès.
Nous sommes censés, pendant le carême, abandonner l’illusion des lumières et des joies de ce monde, pour adopter les joies et la lumière divines, qui ne s’éteignent jamais. Et il se trouve que, curieusement, celui qui se rapproche de Dieu est tellement ébloui par sa présence, qu’il lui semble marcher dans la nuit -du moins à ses yeux de chair- il ne maîtrise plus son chemin, c’est Dieu qui le maîtrise de mieux en mieux, comme la nuée guidait les hébreux.
Ce sont les « nuits » dont on parle au Carmel, nuit des sens, nuit de l’esprit, où la lumière divine produit comme un ombre. Et alors s’éclaire le paradoxe de cette nuée lumineuse : le carême, c’est l’apprentissage de la vraie lumière, de la vraie joie, de la véritable paix ainsi que l’abandon des fausses paix, des fausses joies, des fausses lumières … que Dieu vienne nous libérer !
P. Emmanuel d'Andigné
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