Homélie du 6ème dimanche de Pâques-Année C
Au premier abord, les textes que nous avons entendu (surtout la première lecture) semblent intéressants pour des historiens, mais quel rapport avec nous ?! Voyons cela de plus près …
La 1ère lecture comporte trois éléments principaux : elle s’ouvre sur la querelle de la circoncision (faut-il que les païens qui se convertissent au christianisme soient circoncis ?), elle se poursuit par des interdits alimentaires censés résoudre la querelle, elle se termine par la consignes de s’abstenir des unions illégitimes. Il se trouve, voyez-vous, que ces trois éléments sont directement liés à notre situation d’aujourd’hui ; prenons-les dans l’ordre :
La querelle de la circoncision a été résolue par Saint Paul, il faut circoncire son cœur … mais bien que cette phrase nous fasse plutôt plaisir et corresponde à notre mentalité d’aujourd’hui (d’ailleurs façonnée par 2000 ans de christianisme !), elle pose un assez grand problème : avons-nous aussi sérieusement circoncis nos cœurs que les juifs d’alors qui étaient circoncis dans leur chair ??? La circoncision, la charnelle, est irréversible. Une fois faite, on ne peut plus revenir sur la décision, elle a un caractère stable, immuable, et montre l’appartenance à un peuple. Notre circoncision du cœur a-t-elle réussi ? Est-ce que nous appartenons à Dieu d’une manière définitive ?
Une autre chose concerne la circoncision et qui nous concerne directement. Le fond de la querelle est : peut-on être chrétien sans être juif ? Car Jésus, notre modèle, a appris à être juif pendant 30 ans avant de « lancer » cet accomplissement du judaïsme qu’on appelle aujourd’hui « christianisme ».
Charnellement, ce n’est pas nécessaire, c’est entendu, mais spirituellement, ça l’est : nous devons nous débarrasser des idoles, avec Abraham et les patriarches ; nous devons être libérés de l’Egypte des péchés, de son Pharaon qu’on appelle Satan, avec Moïse et Josué ; nous devons (et nous sommes) formés par les prophètes juifs pour suivre Dieu en vérité et comprendre le Christ ; nous devons attendre le Messie, avec eux, sans quoi la venue du Christ n’a pas d’intérêt … c’est ce qui faisait dire à Pie XI : « nous sommes spirituellement sémites (dans le contexte de l’entre deux guerres) »
Tout ceci veut dire que la question de la circoncision révèle notre identité : « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir », disait Jésus, la question posée est donc celle de notre identité, ce qui est considérable : nous sommes des juifs qui croyons en Jésus Fils de Dieu …
Les apôtres, vous l’avez entendu, répondent dans l’urgence en disant deux choses, liées l’une à l’autre : « Abstenez-vous des viandes réservées aux idoles, abstenez-vous des unions illégitimes »
Là, pour le coup, les viandes réservées aux idoles, ne semblent plus avoir aucun rapport avec aujourd’hui, à priori ! Pourtant, il me semble que se trouve là une règle très importante pour l’évangélisation, toujours bien valable : en effet, à cette époque, beaucoup de gens pratiquaient le culte de certaines idoles (on a retrouvé, d’ailleurs, vous le savez, à Angers, les traces d’un Temple de Mithra, qui était une religion à mystères, et on offrait des animaux en sacrifice au dieu : il y avait donc de la viande réservée à cet effet). Or, il se trouve que la consommation de telles viandes étaient très sévèrement interdites dans le judaïsme et provoquait dans leur communauté un émoi considérable. La recommandation des apôtres consistait donc à dire en substance ceci : « étant donné que vos contemporains ont ce culte, et que leurs pratiques scandalisent les juifs, pour pouvoir annoncer Jésus-Christ en présence des juifs, ne faites rien qui les scandalise inutilement ; si c’est votre Foi qui les scandalise, vous n’y pouvez rien, mais pour ce qui est de la viande, par exemple, ne les scandalisez pas … »
C’est tout ce qu’il y a de plus adapté au monde moderne, et à toutes les époques à vrai dire, ce principe est toujours valable aujourd’hui : ne pas avoir peur de dire notre foi, certes ; ne pas avoir peur d’avoir un genre de vie en décalage avec les mauvaises habitudes qui se répandent, certes ; ne pas avoir peur de dire Dieu à temps et à contre-temps, certes … mais en tous les cas, éviter une provocation gratuite, sous prétexte de l’immaturité spirituelle de ceux qui nous entoureraient.
En 1975, dans un tout autre domaine mais avec une mentalité identique, Paul VI écrivait : « Nous devons dire et réaffirmer que la violence n’est ni chrétienne ni évangélique et que les changements brusques ou violents des structures seraient fallacieux, inefficaces en eux-mêmes et certainement non conformes à la dignité du peuple Evangelii nuntiandi, n°37»
C’est la même chose, la même idée, qui procède en fait d’un seul et même principe : nous qui sommes chargés d’évangéliser le monde d’aujourd’hui, il nous faut tenir compte, avec délicatesse, de ce qui caractérise l’homme d’aujourd’hui et lui annoncer Jésus pour qu’il puisse le recevoir. En fin de compte, il s’avancera librement, mais au moins, nous ne serons pas restés inactifs
Je termine avec la deuxième recommandation : « s’abstenir des unions illégitimes ». A vrai dire, elle s’explique par la loi naturelle, car il est, normalement, naturel, de respecter les codes fondamentaux de l’amour comme par exemple la fidélité conjugale. Mais elle s’explique aussi, il me semble, par l’évangélisation : en effet, celui qui ne respecte pas la loi naturelle n’est pas en mesure de délivrer un message religieux, message qui sera disqualifié par son attitude. Nous devons évangéliser par la beauté de notre vie, oh, certes avec des défauts et des échecs, mais il se trouve que malgré cela, une vie peut-être belle et évangélisatrice, ainsi que le montre la vie des saints. C’est que Paul VI appelle la « pré évangélisation (Evangelii nuntiandi, n°51)»
Profitons-en pour rappeler qu’il existe, en fait, trois lois : la loi naturelle, inscrite dans le cœur de tout homme, et dans toutes les civilisations ; la loi ancienne, révélée à Israël, qui rattache la loi naturelle à l’alliance avec Dieu (les dix commandements en sont le meilleur exemple), et enfin la loi nouvelle ou évangélique, qui n’est autre que la grâce du Saint-Esprit répandue dans nos cœurs et qui nous rend semblables au Christ. Ces trois lois ne superposent pas et elles ne s’annulent pas non plus, elles font partie les unes des autres, de sorte que celui qui suit l’Evangile est conduit surnaturellement à respecter les deux autres lois. « Ainsi, en voyant ce que vous faîtes de bon, ils rendront gloire à votre père qui est dans les cieux » dit Jésus dans le sermon sur la montagne
C’est ainsi que le Grand Rabbin de Rome, Rafaelle Zolli, s’est converti au christianisme en 1945, parce qu’il fut touché par tout ce que le pape Pie XII avait fait pour son peuple ; il prit d’ailleurs le prénom d’Eugène (celui du même Pie XII).
Je retiens donc de tout cela qu’il nous faut donc faire trois choses : ne jamais scandaliser sciemment et inutilement quelqu’un, mener une vie qui soit une évangélisation à elle toute seule, et chercher (du coup, c’est naturel) tout ce qui fera qu’un homme du XXIème siècle pourra désirer la vie avec le Christ. Voilà un programme bien chargé, alleluia !
P. Emmanuel d'Andigné
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