23 mai 2007

L'Eglise et les personnes divorcées remariées

Conférence donnée à Saint-Georges-sur-Loire
Le 17 novembre 2005



LES DIVORCÉS REMARIÉS DANS L’EGLISE CATHOLIQUE




Il m’a été demandé de vous parler ce soir d’un sujet particulièrement délicat : les divorcés remariés dans notre Eglise. Je devrais d’ailleurs préciser : les baptisés divorcés et remariés, car bien des propos que nous tiendrons trouveront leur origine dans le premier des sacrements, le baptême. Pourquoi cette question est-elle devenue si difficile à aborder ? Trois raisons peuvent être avancées.

1 - La première raison tient à l’ampleur du phénomène. Nous savons que le nombre de divorces s’établit à une moyenne de 1 pour trois mariages dans l’ensemble de la société française, et que ce pourcentage s’élève à 1 pour deux dans les grandes villes. Là, un mariage sur deux échoue. Le divorce signe toujours un constat d’échec. L’institution est en crise. Les hommes politiques devraient s’interroger sur cette la fragilisation de la vie familiale ainsi que sur les drames que suscite le plus souvent la rupture entre deux personnes qui se sont aimées, et pour beaucoup d’enfants le traumatisme d’être partagés entre les parents, ballottés de l’un à l’autre. D’où vient que ce contrat, puisque c’est ainsi que nos contemporains perçoivent le mariage, soit devenu si fragile et si vulnérable ? Le divorce fait partie désormais de l’horizon de chaque mariage célébré, y compris chez les catholiques. Toutes les familles, ou presque, sont touchées par cet échec d’une première alliance. Chacun de nous dans cette salle pourrait évoquer la situation d’un de ses enfants, de ses petits-enfants, d’un neveu ou d’un cousin, peut-être même sa propre situation ; ma famille n’y échappe pas. Devant un phénomène aussi massif, qui constitue une tendance lourde de notre société, l’Eglise catholique pourra-t-elle tenir longtemps sa position ?

2 - Justement, quelle est cette position ? Elle se ramène à une proposition finalement simple : celui qui s’est engagé dans un premier mariage sacramentel ne peut en contracter un second, après un divorce, et ne peut donc participer à la communion sacramentelle. L’opinion générale ne retient de cette impossibilité qu’une forme abrupte : les divorcés remariés sont exclus de la communion. Devant ce mot, un sentiment d’injustice se lève. Notre société se mobilise contre diverses formes de l’exclusion et s’emploie à les combattre (comme, par exemple, celles fondées sur le sexe ou la race, les convictions politiques ou l’appartenance religieuse) ; c’est tout à son honneur. Pourquoi l’Eglise ne suit-elle pas ce mouvement ? Pourquoi tolère-t-elle cette exclusion-là ? Ne se réclame-t-elle pas d’un Maître qui, dans ses paroles et ses actes, s’est révélé être le Seigneur des miséricordes. Où est la miséricorde envers les divorcés remariés ? Beaucoup de chrétiens perçoivent donc comme une contradiction entre le message d’amour et de pardon que leur Eglise s’efforce de délivrer, et sa sévérité jugée excessive envers cette catégorie de baptisés de plus en plus nombreux.

3 - Ils ne comprennent pas. La troisième raison de notre malaise consiste précisément en ceci : beaucoup de catholiques ne comprennent pas pourquoi il est impossible de se remarier sacramentellement après un divorce ; ils ne comprennent pas pourquoi les divorcés remariés n’accèdent pas à la communion sacramentelle. Ils ont, si je puis dire, mal à leur Eglise. Ils souffrent de son rigorisme supposé.

Souffrance, incompréhension, sentiment que l’Eglise est rétrograde et qu’elle finira bien par sera suivre les mœurs du temps : le sujet que nous abordons ce soir est devenu particulièrement sensible parce qu’il suscite de l’émotion et même de la passion. Je ne prétendrai donc pas vous convaincre. Cette mission incombe à l’Esprit Saint, et à lui seul. Je chercherai seulement à m’adresser à votre conscience et lui proposer quelques éléments de réflexion pour éclairer son jugement.


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J’ai pensé appuyer cette réflexion sur une expérience que je viens de vivre. Le mois dernier, je participais au 40ième Synode des évêques qui se réunissait à Rome. Le thème retenu rejoint notre sujet, en effet : L’Eucharistie, source et sommet de la vie et de la mission de l’Eglise. Chacun de nous était venu avec ses convictions relatives à l’eucharistie, ses expériences et les problèmes rencontrés dans sa mission de pasteur. La question de la situation des divorcés remariés figurait en bonne place dans la valise des évêques… occidentaux. Lorsqu’elle fut abordée dans les groupes linguistiques, les confrères africains nous ont déclaré d’entrée de jeu que ce problème n’était pas le leur ; ils se trouvaient davantage préoccupés par la polygamie et le mariage traditionnel. Les évêques venant de pays à forte majorité musulmane, eux, voulaient attirer notre attention sur la situation de la femme chrétienne qui ne pouvait recevoir la communion sacramentelle si son mari musulman épousait d’autres femmes… L’appartenance à l’Eglise universelle a un prix. Bref, la question des divorcés remariés, jugée trop occidentale, ne fut pas développée avec l’ampleur que certains auraient pu souhaiter. Elle fait cependant l’objet de tout un paragraphe dans le message final envoyé à toutes les communautés. J’ai pensé que ce paragraphe pouvait constituer la base de notre réflexion.

Ce texte est officiel, dans la mesure où il émane des quelques deux cent cinquante évêques, venus des cinq continents, élus pour la plupart par leurs conférences épiscopales respectives, donc représentatifs de l’épiscopat universel ; il n’est ni législatif, ni réglementaire ; il ne contient aucune norme. Les évêques ont éprouvé le besoin de s’adresser aux divorcés remariés ; ils l’ont fait en ces termes :

Nous connaissons la tristesse de ceux qui n’ont pas accès à la communion sacramentelle à cause de leur situation familiale non conforme au commandement du Seigneur (cf. Mt 19, 3-9). Certains divorcés remariés acceptent douloureusement de ne pas communier sacramentellement et l’offrent au Seigneur. D’autres ne comprennent pas cette restriction et vivent une frustration intérieure. Bien que ne pouvant partager leur choix (cf. CEC 2384), nous réaffirmons qu’ils ne sont pas exclus de la vie de l’Eglise. Nous leur demandons de participer à la messe dominicale et de s’adonner assidûment à l’écoute de la Parole de Dieu, pour qu’elle nourrisse leur vie de foi, de charité et de conversion. Nous souhaitons leur dire combien nous sommes proches d’eux par la prière et la sollicitude pastorale. Ensemble, demandons au Seigneur d’obéir fidèlement à sa volonté (§ 15).

Les évêques connaissent bien la souffrance de ceux qui se trouvent dans l’impossibilité de communier. D’une certaine manière, cette souffrance est aussi la leur. Ce ne sont donc pas des « maîtres » qui imposeraient de leur vouloir propre une règle jugée inadaptée, sinon arbitraire, aux fidèles du peuple de Dieu. Ils ne sont pas les auteurs de cette loi : ils la reçoivent comme des serviteurs du seul Maître, le Seigneur Jésus. L’impossibilité dont nous parlons ne relève pas de la discipline de l’Eglise qui pourrait la modifier à sa guise. En d’autres termes, pasteurs et fidèles se trouvent dans la même situation : celle de baptisés qui s’efforcent de vivre les commandements du Christ. Le baptisé est celui qui, ayant reçu la vie même de Dieu, est devenu capable de suivre les commandements de l’évangile.


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Ces commandements, quels sont-ils ? Le texte nous renvoie à un passage bien connu de l’évangile de S. Matthieu. Jésus vient de quitter la Galilée. Il s’est rendu en Judée, de l’autre côté du Jourdain : des foules nombreuses le suivent. Il opère de nombreuses guérisons. Notons bien ce point : la question du divorce est posée à Jésus dans ce contexte particulier de la guérison du corps et du cœur. Il amorce ainsi une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité, une création nouvelle ; le Royaume des Cieux est annoncé. Des Pharisiens s’approchent pour le mettre à l’épreuve : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » (Mt 19, 3). Cette question rejoint la nôtre : est-il permis de quitter sa femme (nous ajouterions : son mari), même pour des motifs compréhensibles, comme la mésentente, l’incompatibilité des caractères et l’évanouissement des sentiments premiers, en un mot, le manque d’amour ?

La réponse du Seigneur doit être analysée de près :

- Jésus commence par rappeler que le mariage unique entre l’homme et la femme fait partie du projet initial du Créateur. L’attachement mutuel est tel qu’ils ne forment plus qu’une seule chair (Gn 2, 24) ; non plus deux individualités ayant souscrit des engagements l’un envers l’autre, mais un être nouveau.
- On ne partage pas une seule chair. Cet être nouveau vit sa vie propre jusqu’à la mort de l’un des conjoints. Par conséquent : aucune autorité humaine ne saurait aller à l’encontre d’une loi établie par Dieu. Le mariage est indissoluble : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Mt 19, 6).
- Les interlocuteurs (on devrait dire les contradicteurs) de Jésus reviennent à la charge : pourtant le divorce existe bien chez nous. Il se trouve même inscrit dans la loi de Moïse (Quand un homme a épousé une femme et consommé son mariage avec elle, si cette femme ne trouve pas grâce à ses yeux, il a le droit de la renvoyer et lui donnant une lettre de répudiation, Dt 24, 1-2).
- Le divorce existe, répond en substance Jésus, parce qu’il faut bien que la législation tienne compte de la faiblesse des gens. Moi, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5) ; non seulement je dénonce la dureté des cœurs, mais je donne une vie nouvelle, une eau vive (Jn 4, 10), une alliance renouvelée, un cœur purifié, qui apportent la force suffisante pour suivre la loi de Dieu. Sous le régime de cette création nouvelle, le divorce ne doit pas exister. Celui qui répudie sa femme commet donc un adultère.
- La règle de l’indissolubilité de l’alliance est-elle absolue ? Oui, à une exception près, celle de la prostitution (Mt 19, 9). Sur ce point, les traditions chrétiennes divergent. Les Eglises orthodoxes et les confessions protestantes interprètent cette prostitution comme désignant le cas où l’un des conjoints trompe l’autre et se livre à l’adultère ; mais le mot grec utilisé aurait été moicheia. La tradition catholique est plus fidèle à la signification originelle du terme : la porneia désigne dans les écrits rabbiniques les unions incestueuses entre parents trop rapprochés. Elle admet aussi une autre interprétation : la possibilité pour des conjoints de se séparer sans se remarier.

Il est quelques passages dans l’évangile où les paroles de Jésus ou son attitude rencontrent l’incrédulité des disciples. Ils n’en reviennent pas. Ce qu’ils ont vu et entendu leur reste en travers de la gorge. Deux mille ans plus tard, notre stupéfaction reste la même. Les disciples formulent un commentaire qui en dit long sur leurs sentiments, comme d’ailleurs sur les nôtres : S’il en est ainsi, vient vaut ne pas se marier (Mt 19, 10). Et Jésus de répondre : Je conçois que cette prescription vous choque, mais pourquoi avoir peur ? Je vous apporte ce qui vous est nécessaire et pour bien la comprendre et pour la vivre en plénitude, ma vie.

De cette incursion du côté de S. Matthieu, nous pouvons retenir quelques éléments de réflexion. S’appuyant sur l’évangile, l’Eglise a considéré et considère encore que le remariage après un mariage sacramentel constituait une faute objectivement grave. Déjà l’Eglise primitive avait déterminé qu’il existait trois péchés particulièrement graves : le meurtre, l’adultère et l’apostasie. Il lui faudra plusieurs siècles avant d’admettre que ces péchés puissent être sacramentellement pardonnés.

L’Eglise cherche à éclairer nos consciences. En aucun cas, elle prétend juger les personnes. Dire que l’adultère constitue une situation objective de faute grave ne l’autorise nullement à porter un jugement moral sur les personnes impliquées dans ces situations. Ce point est devenu particulièrement sensible aujourd’hui : on ne supporte plus que l’Eglise désigne la faute. On croit que les jugements émis impliquent, non seulement des situations, mais aussi des personnes. Dire que l’homosexualité est contraire à la morale chrétienne est reçu d’abord de manière subjective : l’Eglise condamne les homosexuels ; ce qui est faux. Dire que les divorcés remariés se trouvent dans une situation objective contraire à la communion sacramentelle est compris comme une exclusion : l’Eglise condamne les divorcés remariés. Ce brouillage entre l’objectif et le subjectif, souvent entretenu par les opinions dominantes et les media, rend proprement inaudible le message. L’Eglise est là pour donner des repères, non pour s’introduire dans les consciences et se substituer à son jugement.


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Ce que je viens de dire présente un risque, je le sais, celui de laisser croire que la position de notre Eglise repose d’abord sur une prescription morale. Certes, les dimensions proprement morales ne sont pas absentes, mais elles ne sont pas premières. Les raisons premières sont théologales : elles touchent à la relation de l’homme avec Dieu. La question que nous sommes en train d’analyser est d’abord d’ordre mystique, spirituelle si ce mot vous fait peur, à la condition de le prendre dans son sens fort.

Qu’est-ce que le mariage ? Pour la société civile et donc pour l’opinion la plus générale, le mariage est un contrat entre un homme et une femme (je n’aborde pas la question de l’union entre des personnes de même sexe), portant sur les corps et les biens (il existe plusieurs régimes). Passé devant un officier de l’état-civil, il produit des effets juridiques qui s’imposent au corps social. Cette définition a pénétré dans nos esprits : le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne favorise guère la signification que l’Eglise donne au mariage.

Dans notre société, tous les contrats sont à durée limitée. Ils peuvent être rompus par les signataires quand ces derniers estiment que les conditions du moment le rendent caduque. La première difficulté que je soulignerai est donc que l’Eglise est devenue la seule institution à tenir qu’une parole donnée engage jusqu’à la mort. Comment faire admettre cette nécessité d’un engagement pour la vie quand notre société n’offre aucun autre exemple de cette nature ? L’Eglise fait figure d’exception.

Certes, il y a, si je puis dire, du contrat dans le mariage catholique. Le consentement entre les époux porte sur trois conditions : l’unité et l’indissolubilité (un seul époux pour la vie) ; la fidélité (ne pas contracter d’autres alliances) et l’ouverture à la fécondité (CEC 1643 s.). Mais la dimension contractuelle n’est ni la première, ni la plus importante. Elle ne représente, si cette image vous parle, que la partie visible - humaine - de l’iceberg. L’essentiel reste caché aux yeux : le mariage dans l’Eglise catholique est un sacrement (ce que ne reconnaissent pas les confessions protestantes).

Un sacrement est un acte par lequel Dieu prend l’initiative de nous faire participer à sa vie. Chaque sacrement marque ainsi une entrée différente dans une seule et même communion avec les personnes divines. Le baptême inaugure cette vie. La confirmation apporte la plénitude des dons de l’Esprit : nous en avons bien besoin de cette force et de cette sagesse pour nous diriger à travers les méandres de l’existence ; c’est pour cette raison que l’Eglise demande aux futurs époux d’avoir reçu auparavant le sacrement de la confirmation. Dans le mariage, les époux ne s’unissent pas devant Dieu, comme on se marie devant M. le Maire. Dieu n’est pas le témoin de leur amour, malgré certaines formules ambiguës : il est l’auteur de cet amour et le garant de son authenticité et de sa durée. Il est donc l’acteur premier : il donne à l’homme et à la femme, formant désormais une seule chair, sa propre fidélité. Les partenaires ne sont pas au nombre de deux, mais de trois. Le premier à s’engager dans le mariage, c’est lui.

Dans le sacrement de mariage, l’homme et la femme acceptent d’entrer dans le jeu mystique de la fidélité de Dieu envers les hommes, et de la fidélité du Christ Epoux envers l’Eglise son Epouse. Cette fidélité-là, divine avant d’être humaine, ils vont la prendre à leur compte, la reproduire symboliquement, la prolonger (la fidélité des époux devient le gage de la fidélité de tous ceux qui dans l’Eglise entrent dans ce mystère, celle des prêtres et des diacres à leur ministère ; celle des religieux à leurs vœux), et la transmettre (les parents mettent leurs propres enfants à l’école de la fidélité). On ne se marie jamais pour soi-même. Je le répète : quand on se marie, on entre dans l’immense mystère de la fidélité de Dieu envers son Eglise.

L’indissolubilité du lien matrimonial n’est plus un rêve, ou une entreprise au-dessus de nos forces, ou un fardeau insupportable, mais la conséquence de notre participation à la fidélité même de Dieu. On ne peut pas dire à sa femme ou à son mari : « Cet aspect de toi-même me convient tout à fait, je le prends ; cet autre aspect, non, je me refuse à l’assumer ». On accepte la personne dans sa totalité, ou bien on ne se lie pas à elle. De la même manière, on ne peut renoncer à la fidélité qui vient de Dieu, ce que signifie un remariage après divorce, et prétendre communier à cette même fidélité exprimée dans l’Eucharistie. C’est une question de cohérence. Ce n’est donc pas l’Eglise qui ferme le chemin de la communion sacramentelle aux divorcés remariés. Ce sont ces frères divorcés qui se sont arrêtés eux-mêmes sur la bordure de ce chemin.

Il est significatif que, dans l’évangile de S. Jean (Jn 2, 1 s.) le premier acte du ministère public de Jésus se produise lors d’un mariage. Le vin vient à manquer : nous savons bien, nous qui vivons en Anjou, que le vin est la promesse de la fête. Sans vin, il n’y a pas de fête. Sans fête, il n’y a pas d’amour. Sans amour, il n’y a pas de mariage. En transformant l’eau en vin, le Seigneur sauve la fête. Il sauve, à travers ce mariage particulier, les épousailles de Dieu avec les hommes. Demain, en donnant sa vie en sacrifice, il changera le vin en son propre sang, et scellera ainsi les nouvelles épousailles entre le Fils et son Eglise. Il n’y a pas d’amour sans sacrifice. Il n’y a pas de mariage sans sacrifice : « Les époux scellent leur consentement à se donner l’un à l’autre par l’offrande de leurs propres vies, en l’unissant à l’offrande du Christ pour son Eglise » (CEC 1621). On peut continuer à participer à ce même sacrifice dans la situation de divorcé remarié. Pour cette raison, les évêques du dernier synode de Rome ont éprouvé le besoin d’écrire : Certains divorcés remariés acceptent douloureusement de ne pas communier sacramentellement et l’offrent au Seigneur.


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Cette phrase m’a ramené au Synode. Au lendemain de sa tenue, la presse analysait que les travaux des évêques, « marqués par un grand souci pastoral » (c’est le moins que l’on pouvait attendre d’eux !), n’avaient pas appelé « de changement de discipline ou de doctrine » (La Croix, lundi 24 octobre). Une telle présentation prête à confusion. Le contenu de l’article peut laisser entendre, en effet, que la position de l’Eglise catholique envers l’admission à la communion sacramentelle des divorcés remariés relevait de la discipline. Sous-entendu : les évêques auraient pu la changer, puisqu’ils ont la maîtrise des règles de cette sorte. La déception a été grande ici et là, jusqu’auprès de mes prêtres, devant ce qui a été qualifié de manque de courage ou d’imagination. Sans doute convient-il de rappeler qu’un Synode n’est pas un Concile, et qu’il ne dispose ni d’un pouvoir législatif, ni d’un pouvoir réglementaire ; il lui est demandé de faire des propositions au pape.

J’ai essayé de montrer qu’il ne s’agissait pas d’une question de discipline. Est-ce une question de doctrine ? Certes, la position de notre Eglise s’appuie sur une doctrine explicitée à l’instant ; mais cette doctrine s’appuie à son tour sur des commandements évangéliques que les évêques n’ont évidemment pas la possibilité de modifier. Pour cette raison, je trouve irresponsable de laisser penser que demain l’Eglise changera de position forcément et qu’il convient, par conséquent, d’exercer sur les évêques toute la pression nécessaire, à commencer par la pratique du fait accompli, pour les amener à bouger. Ce comportement est cruel envers les hommes et les femmes qui se trouvent dans cette situation douloureuse. Il me paraît hautement improbable, pour ne pas dire impossible, que la doctrine, fondée sur l’Ecriture, soit modifiée du tout au tout[1].

Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire, ni rien à espérer dans la pratique ? Je ne le crois pas, car si la pastorale dépend toujours de la doctrine, et non pas l’inverse, une même doctrine peut inspirer des pratiques différentes. Ces pratiques ont été débattues au Synode. Permettez-moi d’indiquer ici trois pistes explicitement évoquées.

1ière piste. Les jeunes baptisés (et même les moins jeunes) qui se présentent au mariage savent-ils à quoi ils s’engagent vraiment ? Ceux qui les reçoivent notent leur manque de culture religieuse et de formation catéchétique ; plus grave encore, leur manque de foi. Les responsables de la pastorale du mariage savent bien que le respect des personnes passe par la vérité de la démarche entreprise. Il leur revient d’expliquer les termes de l’engagement, et notamment le sens, la valeur et les implications concrètes de l’indissolubilité du sacrement. Sera-ce suffisant ? Comment les candidats peuvent-ils se dire prêts à s’engager dans ce que je viens d’appeler la mystique de la fidélité divine, s’ils ne se réclament pas du Christ et ne vivent pas de sa vie ? Ce point fait débat dans l’Eglise. Les tenants du droit naturel estiment que le respect des trois conditions de l’engagement matrimonial suffit pour qu’il y ait sacrement. Jusqu’à présent cette option l’a emporté (cf. déclarations de la Rote). Il conviendrait sans doute de la reconsidérer : si le fondement du sacrement est d’ordre théologal, la foi devrait être reconnue comme une condition impérative de sa validité. Je crois me rappeler que le cardinal Ratzinger avait adopté une position assez proche de celle-ci. Il me semble enfin que le rituel récent du sacrement de mariage va dans ce sens.

Je dis cela avec tristesse, mais la vérité m’oblige à le faire : les mariages que nous célébrons dans nos églises sont-ils tous des sacrements ? La question des divorcés remariés se poserait en des termes différents si nous avions le courage de reconnaître que plusieurs (beaucoup ?) des premiers mariages n’en étaient pas, en réalité ; donc si nous avions le courage de conseiller aux divorcés de faire expertiser leur première démarche. Nos tribunaux ecclésiastiques sont là pour aider ceux qui s’interrogent et reconnaître éventuellement la nullité du premier engagement. L’accès à ces tribunaux devrait être ouvert à tous, et le recours cesser d’apparaître comme une exception, un privilège ou une rareté. Tout baptisé a le droit de savoir ce qu’il en est de la validité des actes qu’il pose dans son Eglise.

Je reconnais avec vous que cette première piste butte sur une limite importante : les enfants nés d’une première union vivent en général très mal la reconnaissance de la nullité du mariage de leurs parents, comme s’ils se trouvaient frappés d’une tache d’illégitimité.

2ième piste. La deuxième piste que j’ouvre ce soir ne doit pas être mal comprise. A la suite du concile de Vatican II et de toute la Tradition, le Synode a répété que l’Eucharistie constituait le fondement et le sommet de la vie chrétienne, la source de toute mission. Nous en sommes tous bien convaincus. N’y a-t-il pas cependant plusieurs manières de communier ? Quand vous expliquez à un ami, par exemple, que vous ne pouvez vous rendre physiquement à son mariage, parce que la maladie vous cloue au lit, ou que vous avez la garde d’un enfant, d’un infirme, alors que personne ne peut vous remplacer, ou encore que vous êtes trop éloigné et qu’il vous est impossible de le rejoindre, si vous l’assurez que vous serez malgré tout présent par la prière et l’affection, cette forme de communion et de présence spirituelle n’est-elle pas authentique ? Nous conservons le souvenir de ces quelques Juifs qui, à la veille de la dernière guerre, avaient résolu de demander le baptême, et qui, devant les persécutions dont leurs corréligionnaires étaient accablés, ont préféré remettre leur démarche pour ne pas les trahir : ce « baptême de désir » n’était-il pas authentique ? De même donc qu’il existe un baptême de désir quand les conditions objectives ne permettent pas d’accéder au baptême sacramentel, de même il existe une « communion de désir » accessible aux ceux qui éprouvent le désir de communier au Corps du Christ et ne peuvent le faire pour des raisons objectives.

Pourquoi faudrait-il recevoir avec mépris cette notion de communion de désir, ou spirituelle, ou partielle ? Depuis plusieurs décennies, les pasteurs expliquent que la communion sacramentelle représente le mode naturel de la participation à la messe. Les communions se sont multipliées. Cette pastorale justifiée a produit cependant des effets problématiques. Elle a laissé croire que la communion appartenait au déroulement même de la célébration. Nous voyons bien que viennent communier des gens qui partagent à peine notre foi, notamment dans les célébrations de mariage, n’ont qu’une vague idée de la vie chrétienne et de ses exigences, ou bien encore portent des fautes au moins aussi graves sans avoir sollicité le pardon sacramentel. Bref, à peu près tout le monde vient communier. Devant cette sorte de banalisation, comme si le geste de communion était devenu un simple rite, les divorcés remariés éprouvent un sentiment d’injustice redoublé puisqu’ils deviennent les seuls, ou presque, à ne pouvoir le faire, les seuls exclus en somme, alors que tout péché, et pas seulement le remariage après divorce, exclut de la communion sacramentelle.

En plaidant comme je viens de le faire en faveur de la communion de désir ou spirituelle, je n’ai pas du tout la conviction de mentionner une solution au rabais, une sorte d’aumône faite à des frères empêchés. J’ai montré à l’instant que les formes de présence spirituelle, par l’esprit, le désir, le cœur et l’affection, n’étaient pas moins authentiques. Celui qui participe physiquement à la communion sacramentelle participe au sacrifice du Christ, puisqu’il s’engage à donner sa vie et sa personne comme une offrande agréable au Seigneur (cf. CEC). Celui qui y participe spirituellement participe également au sacrifice du Christ en offrant ses souffrances au Seigneur. Il y a plusieurs communions dans la maison de l’Eglise ! Toutes pourtant sont des participations à un même sacrifice. Ainsi s’explique la phrase du message que je viens de redire : Certains divorcés remariés acceptent douloureusement de ne pas communier sacramentellement et l’offrent au Seigneur.

3ième piste. Je n’évoquerai une troisième piste qu’en quelques mots. Certains pères synodaux ont utilisé pour parler de l’Eucharistie les notions de devoirs et de droits. Il y aurait ainsi des devoirs de la part des personnes qui souhaitent communier au Corps du Christ, ceux d’harmoniser toute leur vie avec la dignité du sacrement. Comme le rappelle l’Apôtre, on ne peut recevoir ce Corps de manière indigne. Il y aurait aussi une sorte de droit, celui du blessé, du malade, du pécheur, en un mot, de recevoir le viatique de vie qui refait les forces et permet de repartir d’un bon pied. Cette perspective rejoindrait la pratique de nos frères orthodoxes qui autorisent un remariage après adultère ; mais ce remariage n’est pas un sacrement : c’est une concession faite par la miséricorde de l’Eglise à la faiblesse humaine. La cérémonie elle-même est une cérémonie de pénitence et non pas de joie.


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Comme le disait le cardinal Daneels, l’Eglise est toujours parvenue à trouver une solution aux problèmes intérieurs qui se posaient à elle. Mais elle l’a fait à son rythme, qui est fort lent. Il en sera sûrement de même pour celui de la place des divorcés remariés. On comprend toutefois l’impatience de beaucoup.

C’est finalement à cette conclusion que je voulais parvenir. Les divorcés remariés sont-ils exclus de l’Eglise ? Evidemment non : comme baptisés, ils constituent des membres à part entière de cette communion des saints et des pécheurs. Les divorcés remariés sont-ils exclus de la vie spirituelle ? Evidemment non, puisqu’ils prient eux-mêmes, écoutent la parole de Dieu, participent à la prière de la communauté et conduisent la formation chrétienne de leurs enfants ; ils sont invités, comme chacun de nous, à se convertir. Leur mission de témoignage de l’Evangile dans la vie professionnelle, sociale et même politique, n’a pas été interrompue par leur remariage. Sont-ils donc exclus de l’appel à la sainteté ? Non, puisque cet appel se trouve contenu dans leur baptême. Ils ont choisi un chemin plus difficile et plus coûteux. C’est pour cela qu’ils ont droit à notre estime et à notre délicatesse fraternelle. C’est encore pour cette raison que les évêques leur disent : Nous souhaitons leur dire combien nous sommes proches d’eux par la prière et la sollicitude pastorale. Ensemble, demandons au Seigneur d’obéir fidèlement à sa volonté.






Monseigneur Jean-Louis BRUGUÈS

Évêque d’Angers

[1] La doctrine a été exposée pour la dernière fois dans l’exhortation apostolique Familiaris consortio, publiée en 1981 par Jean-Paul II, après la tenue du synode des évêques sur la famille. Le n° 84 demeure le texte de référence pour comprendre la situation des divorcés remariés :
- Il existe des situations diverses. Certains ont tout fait pour sauver leur mariage et ont été abandonnés. D’autres se sont mariés pour favoriser l’éducation des enfants. Ou bien sont persuadés que le premier mariage est nul.
- Les pasteurs et les communautés sont invités à aider ensemble les divorcés remariés. Ils ne sont pas séparés de l’Eglise et doivent donc participer à sa vie en tant que baptisés.
- Il faut leur expliquer les raisons de la position de l’Eglise. C’est une vérité qui leur est due.
- Pour éviter toute confusion, les pasteurs ne prévoiront aucune sorte de célébration liturgique pour un remariage après divorce.

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