Homélie du soir de Noël - 24 décembre dans la nuit
Joyeux Noël … combien de fois a-t-on entendu ça ces jours-ci !… on a raison, je crois, de se plier à cette coutume ! Et pourtant, tout le monde sait bien que Noël est pour un certain nombre de personnes une épreuve : les personnes qui sont seules, celles qui sont devenues seules, et puis je pense à cette famille dans laquelle j’ai célébré mardi une sépulture … comment dire, dans ces conditions « joyeux Noël » ???
Mais à vrai dire, même lorsque tout va très bien, ou lorsque tout ne va pas trop mal, ou que l’on a des soucis raisonnables, la question reste posée : qu’est-ce que la joie véritable ? Qu’est-ce qu’un joyeux Noël ?
J’ai trois cadeaux pour vous, ce soir !
Le premier cadeau, c’est une histoire vraie qui m’est arrivée, le second est aussi une histoire vraie, au départ (sans doute un peu romancée, car elle se passa au Moyen-Age), le troisième cadeau, c’est une image, pour nourrir votre imagination, et introduire, je l’espère, votre cœur à la vraie joie.
1er cadeau :
J’avais un rendez-vous important à Paris, ce jour-là, une messe avec des séminaristes angevins qui franchissaient une étape importante vers l’ordination. Je recherche sur Internet les meilleurs prix pour les trains et il s’avère que le meilleur train était assez tôt, m’obligeant à attendre deux heures avant la messe. Alors, bien que guidé au départ par un esprit d’économie, je prends ce train et me retrouve à la gare, avec deux heures d’avance … une inspiration divine (ça peut m’arriver à moi aussi !) m’interpelle : « dis-donc, toi qui confesses les autres, tu pourrais peut-être te confesser, toi aussi ! ». Ne pouvant rien rétorquer, je me mets à la recherche d’une église, puis d’un prêtre, afin de me confesser. Lors de cette confession, rien d’extraordinaire ne se passa. Mais j’ai constaté, peu après, quelques heures, quelques jours plus tard, que mon cœur était dans une très grande joie ; c’était, je crois, ce que la liturgie appelle « la joie d’un cœur purifié » ; je souhaite cette joie à chacun d’entre vous ! Il est certain que lorsque l’on évacue ses péchés, il y a un germe de tristesse en moins, et l’horizon se dégage pour l’épanouissement de la vraie joie.
2ème cadeau :
Nous sommes au XIIème siècle, un drôle de petit diacre, Saint François d’Assise, discute avec Frère Léon (si je devais lui trouver un pendant moderne, je le comparerais à Bernard Pivot) … les deux « compères » se mirent un jour à parler de Jn 15 11 (« Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie »). Frère Léon interroge benoîtement St François et lui demande : Qu’est-ce que la joie parfaite ? Voici le récit complet :
Comme saint François allait une fois de Pérouse à Sainte Marie des Anges avec frère Léon, au temps d'hiver, et que le froid très vif le faisait beaucoup souffrir, il appela frère Léon qui marchait un peu en avant, et parla ainsi: « O frère Léon, alors même que les frères Mineurs donneraient en tout pays un grand exemple de sainteté et de bonne édification, néanmoins écris et note avec soin que là n'est pas point la joie parfaite. » Et saint François allant plus loin l'appela une seconde fois : « O frère Léon, quand même le frère Mineur ferait les aveugles voir, redresserait les contrefaits, chasserait les démons, rendrait l'ouïe aux sourds, le marcher aux boiteux, la parole aux muets et, ce qui est plus grand miracle, ressusciterait des morts de quatre jours, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Marchant encore un peu, saint François s'écria d'une voix forte: « O frère Léon, si le frère Mineur savait toutes les langues et toutes les sciences et toutes les Écritures, en sorte qu'il saurait prophétiser et révéler non seulement les choses futures, mais même les secrets des consciences et des âmes, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Allant un peu plus loin, saint François appela encore d'une voix forte: « O frère Léon, petits brebis de Dieu, quand même le frère parlerait la langue des Anges et saurait le cours des astres et les vertus des herbes, et que lui seraient révélés tous les trésors de la terre, et qu'il connaîtrait les vertus des oiseaux et des poissons, de tous les animaux et de hommes, des arbres et des pierres, des racines et des eaux, écris qu'en cela n'est point la joie parfaite. » Et faisant encore un peu de chemin, saint François appela d'une voix forte: « O frère Léon, quand même le frère Mineur saurait si bien prêcher qu'il convertirait tous les fidèles à la foi du Christ, écris que là n'est point la joie parfaite. »
Et comme de tels propos avaient bien duré pendant deux milles, frère Léon, fort étonné, l'interrogea et dit: « Père, je te prie, de la part de Dieu, de me dire où est la joie parfaite. » et saint François lui répondit: « Quand nous arriverons à Sainte-Marie-des-Anges, ainsi trempés par la pluie et glacés par le froid, souillés de boue et tourmentés par la faim, et que nous frapperons à la porte du couvent, et que le portier viendra en colère et dira: « Qui êtes-vous ? » et que nous lui répondons: « Nous sommes deux de vos frères », et qu'ils dira: « Vous ne dites pas vrai, vous êtes même deux ribauds qui allez trompant le monde et volant les aumônes des pauvres; allez-vous en »; et quand il ne nous ouvrira pas et qu'il nous fera rester dehors dans la neige et la pluie, avec le froid et la faim, jusqu'à la nuit, alors si nous supportons avec patience, sans trouble et sans murmurer contre lui, tant d'injures et tant de cruauté et tant de rebuffades, et si nous pensons avec humilité et charité que ce portier nous connaît véritablement, et que Dieu le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous persistons à frapper, et qu'il sorte en colère, et qu'il nous chasse comme des vauriens importuns, avec force vilenies et soufflets en disant: « Allez-vous-en d'ici misérables petits voleurs, allez à l'hôpital, car ici vous ne mangerez ni ne logerez », si nous supportons tout cela avec patience, avec allégresse, dans un bon esprit de charité, ô frère Léon, écris que là est la joie parfaite. Et si nous, contraints pourtant par la faim, et par le froid, et par la nuit, nous frapperons encore et appelons et le supplions pour l'amour de Dieu, avec de grands gémissements, ne nous ouvrir et de nous faire cependant entrer, et qu'il dise, plus irrité encore: « ceux-ci sont des vauriens importuns, et je vais les payer comme ils se méritent », et s'il sort avec un bâton noueux, et qu'il nous saisisse par le capuchon, et nous jette à terre, et nous roule dans la neige, et nous frappe de tous les nœuds de ce bâton, si tout cela nous supportons patiemment et avec allégresse, en pensant aux souffrances du Christ béni, que nous devons supporter pour son amour, ô frère Léon, écris qu'en cela est la joie parfaite. Et enfin, écoute la conclusion, frère Léon : au-dessus de toutes les grâces et dons de l'Esprit Saint que le Christ accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même, et de supporter volontiers pour l'amour du Christ les peines, les injures, les opprobres et les incommodités; car de tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons nous glorifier, puisqu'ils ne viennent pas de nous, mais de Dieu, selon que dit l'Apôtre: « Qu'as-tu que tu ne l'ais reçu de Dieu ? et si tu l'as reçu de lui, pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu l'avais de toi-même ? ».Mais dans la croix de la tribulation et de l'affliction, nous pouvons nous glorifier parce que cela est à nous, c'est pourquoi l'Apôtre dit: « Je ne veux point me glorifier si ce n'est dans la croix de Notre Seigneur Jésus Christ. »
Rien ne fait la tristesse de celui qui a Dieu pour trésor et c’est en particulier par la croix, le mystère de la croix, que Saint François comprend que les souffrances même ne sont pas un obstacle à la joie parfaite. « Votre joie, nul ne pourra vous la ravir », dit Jésus (Jn 16 22)
Bien entendu, je souhaite à quiconque d’avoir chaud, d’avoir de quoi manger, d’être accueilli, d’être reconnu, et tout ce que l’on peut souhaiter de plus beau … mais ce que je vous souhaite par-dessus tout, c’est ce que, comme dit le rituel du mariage, « le bonheur ne vous égare pas loin de Dieu » et que les soucis (je cite) « ne vous accablent pas ». Car que l’on soit selon ce monde heureux ou malheureux, On peut de la même façon s’éloigner de la joie parfaite, celle qui vient de la présence, de l’amour, de la tendresse de Dieu, de l’action de Dieu en nous
« Votre joie, nul ne pourra vous la ravir » Jn 16 22
Troisième cadeau :
Et c’est là, sans doute, qu’il faut ajouter mon troisième cadeau : c’est l’image de l’océan. Comme chacun sait, un Océan est comme une cuve d’eau, mais qui commence toujours par une zone proche de la côte, avec une distance entre la surface et le fond qui va de quelques millimètres à 11500 mètres (dans le pacifique) ; il est bien évident que lorsque la surface de l’eau est agitée tout près du bord, le fond en est agité aussi, mais au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la côte, l’agitation de la surface est de moins en moins perceptible dans le fond de l’Océan …
Notre personne est comme un océan, nous avons en nous une surface : notre apparence physique, mais aussi ce que nous voyons des autres, les impressions que nous avons, les influences que nous avons subies, les blessures, les sécurités … bref, notre psychologie, qui se situe à la surface de notre être. En outre, il y a des zones plus profondes en nous : notre être profond, celui que nous connaissons un peu, mais assez mal et c’est là que Dieu réside, c’est là qu’il agit (en particulier dans les sacrements).
La vie spirituelle, la vie divine en nous se situe au plus profond de notre être et là se trouve, avec la présence de Dieu, le secret de la joie parfaite. En effet, que la surface de notre être soit agitée ou bien calme, cela ne change rien au fond de nous-même, qu’il pleuve ou qu’il vente, et même s’il y a de la pollution, le fond du fond de notre être ne change pas ; si nous prenons l’habitude de nager en profondeur, alors rien, en surface, que cela soit en bien ou en mal, ne peut réellement nous atteindre, c’est ce que je vous souhaite de mon cœur …
Joyeux Noël !
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