14 janvier 2011

Homélie du 09 janvier 2011-peut-on perdre la foi ?

Homélie du baptême du Seigneur 2011

Je rencontre souvent la difficulté à croire et plus précisément celle d’affirmer de l’intérieur, avec une certitude intime que Dieu existe, tout simplement …

Le jour de votre baptême, sachez-le, vous avez reçu la foi ! Vous avez reçu ce lien entre Dieu et vous qui est éclairée par l’Evangile d’aujourd’hui : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ». Dieu l’a dit pareillement de chacun de vous : « tu es ma fille, tu es mon fils bien-aimé, en toi, j’ai mis tout mon amour ».

La foi, avant tout, est un lien filial, amoureux, c’est une relation qui nous fait toucher Dieu (oui, toucher, c’est pourquoi on dit que la foi est une « vertu théologale », « théologal » signifie « qui nous met en relation directe avec Dieu »). Je vous propose de faire un petit détour par un monument de la littérature française du XXème siècle, qui a beau avoir été écrit en 1936, mais qui est d’une modernité incroyable : il s’agit du « journal d’un curé de campagne », de Georges Bernanos ; voici ce qu’il dit (c’est le jeune curé qui parle) :

« Non, je n’ai pas perdu la foi ! Cette expression de «perdre la foi » comme on perd sa bourse ou un trousseau de clefs m’a toujours paru d’ailleurs un peu niaise. Elle doit appartenir à ce vocabulaire de piété bourgeoise et comme il faut légué par ces tristes prêtres du XVIIIe siècle, si bavards.
On ne perd pas la foi, elle cesse d’informer la vie, voilà tout. Et c’est pourquoi les vieux directeurs n’ont pas tort de se montrer sceptiques à l’égard de ces crises intellectuelles, beaucoup plus rares sans doute qu’on ne prétend. Lorsqu’un homme cultivé en est venu peu à peu, et d’une manière insensible, à refouler sa croyance en quelque recoin de son cerveau, où il la retrouve par un effort de réflexion, de mémoire, eût-il encore de la tendresse pour ce qui n’est plus, aurait pu être, on ne saurait donner le nom de foi à un signe abstrait, qui ne ressemble pas plus à la foi, pour reprendre une comparaison célèbre, que la constellation du Cygne à un cygne.

Je n’ai pas perdu la foi. La cruauté de l’épreuve, sa brusquerie foudroyante, inexplicable, ont bien pu bouleverser ma raison, mes nerfs, tarir subitement en moi – pour toujours, qui sait ? – l’esprit de prière, me remplir à déborder d’une résignation ténébreuse, plus effrayante que les grands sursauts du désespoir, ses chutes immenses, ma foi reste intacte, je le sens. Où elle est, je ne puis l’atteindre. Je ne la retrouve ni dans ma pauvre cervelle, incapable d’associer correctement deux idées, qui ne travaille que sur des images presque délirantes, ni dans ma sensibilité ni même dans ma conscience. Il me semble parfois qu’elle s’est retirée, qu’elle subsiste là où certes je ne l’eusse pas cherchée, dans ma chair, dans ma misérable chair, dans mon sang et dans ma chair, ma chair périssable, mais baptisée.

Dès le baptême, à l’instant du baptême, vous aviez la foi, dans votre chair. Les petits bébés ont la foi au jour de leur baptême : non pas dans la « cervelle », comme dirait Bernanos, non pas dans la « sensibilité », non pas dans la « conscience » morale, mais ils ont la foi, ce lien qui fait qu’ils sont fils de Dieu.

Au baptême nous avons reçu trois dons, la Foi, l’Espérance et la Charité. Quand ils descendent en nous, où vont-ils se loger ? Dans la « cervelle », la sensibilité, conscience ? Oui, un jour, mais pas d’abord …

D’abord Dans la chair … c’est-à-dire notre condition de faiblesse, dans ce qui fait que nous sommes hommes et non pas Dieu. La chair, ce n’est pas la chair fraîche que recherchent les ogres dans les contes pour enfants, ce n’est pas la peau (l’épiderme, le derme ou l’hypoderme) … la chair (dont nous parlons dans le Credo, « la résurrection de la chair »), c’est la condition de créature, de faiblesse, c’est ce qui fait la différence entre le fils de Dieu par nature, Jésus, et le fils de Dieu par adoption, le baptisé.

« Et le verbe s’est fait chair », dit saint Jean (Jn 1,14), Dieu n’a pas eu peur de revêtir l’habit du Fils adoptif, pour que notre chair reçoive le don de la Foi, de l’Espérance et de la Charité. Et Saint Paul complète l’enseignement en disant (Rm 8) : Quand Dieu a envoyé son propre Fils dans notre condition humaine de pécheurs pour vaincre le péché, il a fait ce que la loi de Moïse ne pouvait pas faire à cause de la faiblesse humaine : il a détruit le péché dans l’homme charnel. Il voulait ainsi que les exigences de la Loi se réalisent en nous qui ne vivons pas sous l’emprise de la chair, mais de l’Esprit. »

La Foi, c’est un don de Dieu, qui nous est fait au baptême, pour faire mourir en nous péché et mort, nous conservons ce don jusqu’au dernier souffle de notre vie.

« On ne perd pas la foi, elle cesse d’informer la vie, voilà tout ». Ce qui est possible, en effet, c’est que l’on néglige ce don, qu’on ne l’exploite pas, qu’on ne lui permette pas d’exprimer toutes ses promesses ou ses potentialités, ça oui ! Mais on ne perd pas la foi, dans le sens où le don de Dieu résiste à toutes les tempêtes de la souffrance ou du doute …

Une image : sur les téléphones ultra-modernes (ceux sur qui on tape pour accéder à un service), il y a ce que l’on appelle des « applications », c’est-à-dire une petite image (qui est surnommée « icône » ! C’est drôle) qui, lorsqu’on l’active, vous permet d’avoir la météo, d’écouter de la musique, de connaître les dernières informations du jour, ou de consulter les textes de dimanche prochain.

Mais bien entendu, lorsque vous achetez votre appareil, un certain nombre d’applications sont déjà installées et si vous n’appuyez jamais sur l’un des icônes, jamais elle ne servira : tout est prêt, tout est là, potentiellement, mais si vous n’appuyez pas, ça ne donne rien …

De même, le baptême vous fournit trois « applications (Foi, Espérance et Charité) », mais il est possible de ne jamais les activer. La foi est un don de Dieu reçu au baptême, ce n’est pas le résultat d’un cheminement intellectuel compliqué, au bout duquel on déclare : « Oui, j’en suis sûr, Dieu existe ! »

L’existence de Dieu est une évidence, de tous temps dans l’histoire de l’humanité et c’est une maladie intellectuelle récente que d’avoir du mal à affirmer cela

Voici ce que dit le Concile Vatican II, citant Vatican I : « Le saint Concile reconnaît que « Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées » (cf. Rm 1, 20). Dei Verbum 6

La foi que nous donne le baptême ne sert pas à nous faire dire que Dieu existe (parce que ça, c’est évident), mais elle sert à nous faire connaître et aimer Jésus-Christ, le Fils de Dieu mort et ressuscité pour nous.

On « active » les trois vertus théologales essentiellement par la prière, c’est ainsi que ces trois dons deviennent vivants en nous, et vivifiants, prions !

Demandons à Dieu qu’il donne un nouvel élan à notre Foi, à notre Espérance et à notre Amour, que nous soyons dans la joie et dans la paix.

P. Emmanuel d'Andigné

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