Homélie du 2ème dimanche de carême - Année B
Vous venez de passer une semaine chargée, vous avez mille préoccupations … et d’un seul coup, vous voilà plongés dans deux récits, celui du sacrifice d’Isaac et celui de la transfiguration et comme ça n’a rien d’évident, je commence par faire lien entre les deux …
Ce qui relie les deux évènements, ce sont deux montagnes :
La première, Moriah, est selon la tradition ni plus ni moins Jérusalem avant que celle-ci soit construite, c’est le fameux rocher recouvert du fameux dôme doré construit par les musulmans au 7ème siècle et qui figure sur toutes les vues générales de Jérusalem. La scène, pour Abraham et Isaac, se situe presque 1900 ans environ avant Jésus-Christ.
La deuxième montagne, celle de l’Evangile, dont le nom n’est donné par aucun des évangélistes, est selon la tradition le Mont Thabor, un peu au Sud de Nazareth, en Galilée.
La liturgie nous fait entendre le sacrifice d’un fils par son Père avant la transfiguration, car, après celle-ci, un autre fils, Jésus, va s’offrir en sacrifice à son Père, Dieu le Père, pour ouvrir aux hommes le chemin du Ciel : la chose va se passer à nouveau à Jérusalem, sur une troisième montagne : le Golgotha.
Etant donné la dureté du spectacle du Golgotha, Jésus a jugé bon de faire percevoir, quelques jours auparavant, sa gloire divine, sa condition de ressuscité, pour que l’épreuve soit supportable au moment de la Passion et de la mort (Saint Léon le Grand).
Pour nous, aujourd’hui, cela signifie que la présence de Dieu, la gloire de Dieu, se manifestent aussi bien dans les grandes joies de l’existence que dans les malheurs ; il faudrait –pour le dire autrement- que nous percevions la gloire de Dieu, que l’on soit sur le Thabor ou sur le Golgotha !
J’en profite pour redire la façon juive de dire le mot « gloire », kavod, qui en fait signifie « poids ». La gloire de Dieu, c’est le « poids » de Dieu, sa valeur et celle-ci s’exprime aussi bien sur le Golgotha que sur le Thabor.
Sur le Golgotha, la gloire de Dieu, c’est l’amour qui va jusqu’au bout, sur le Thabor, la gloire de Dieu, c’est l’amour divin qui illumine la terre.
L’autel, qui comme son nom l’indique est un lieu « élevé (altus)», est à la fois ce Golgotha sur lequel est offert le sacrifice de Jésus –car s’il n’était pas mort, nous n’aurions pas pu recevoir son corps et son sang- et ce Thabor où nous rencontrons le ressuscité, car s’il n’était pas ressuscité, nous ne pourrions pas recevoir la communion. La messe nous fait faire un magnifique et incroyable voyage dans l’espace et dans le temps !
Il y a un texte, dans le rituel du mariage qui dit : « que votre travail à tous deux soit béni, sans que les soucis vous accablent, sans que le bonheur vous égare loin de Dieu »
Moi, je ne suis pas tellement convaincu –de moins en moins- par les gens qui disent « il m’est arrivé tel ou tel malheur, et depuis, je ne veux plus entendre parler de Dieu »… car il est des gens, au contraire, que l’épreuve a rapprochés de Dieu, au moins autant que la « première » catégorie, et selon moi, beaucoup plus nombreux encore sont ceux qui abandonnent Dieu parce que le bonheur tel qu’ils le pratiquent –matériellement- les éloigne de Dieu !
Pour l’évangélisation, cela signifie que nous devons trouver de quelle manière nos contemporains pourraient avoir le désir de monter sur la montagne avec le Christ : nous les conduirons au Golgotha s’ils sont dans la souffrance et nous les mènerons au Thabor si tout va bien pour eux, afin qu’ils puissent rencontrer une autre lumière qui leur donne un avant-goût du Ciel.
Celui qui souffre et qui monte au Golgotha découvre un crucifié qui a fait de sa souffrance et de sa mort un acte de parfait amour, ce qui est rempli d’intérêt pour celui qui souffre vraiment.
Celui qui va très bien –matériellement- et qui monte au Thabor découvre que toutes les lumières sont décevantes, ici-bas, et qu’il convient d’en trouver une qui ne puisse s’éteindre, ainsi que le suggère le livre de l’Apocalypse : « ils n'auront plus besoin de la lumière d'une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera, et ils régneront pour les siècles des siècles. »
La foi nous aidera à faire le lien entre les deux montagnes, car l’une sans l’autre n’est pas réaliste.
Je termine par la phrase que le Père prononce sur la montagne « celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le »
On pourrait dire beaucoup de choses, j’en choisis deux : le mot écouter, en français, est d’une affreuse banalité, mais en hébreu, c’est fort différent ! Chama a donné le fameux schema Israël, adonaï elohénou, adonaï erad (« Dt 6,4 Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l'Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force. »)
Il s’agit de la profession de foi juive, de la foi en Dieu : autrement dit, celui que l’on écoute, c’est Dieu ! Jésus est de toute éternité le Fils de Dieu, il se révèle comme Dieu sur la montagne.
Petit souvenir de Terre sainte : le groupe de la paroisse a rencontré Sœur Joséphine, Clarisse, à Nazareth, et c’était juste après la messe ; retardé par le soin de la sacristie, j’arrive un peu en retard dans la pièce où se déroulait l’entretien, qui avait déjà commencé ; regrettant mon arrivée peu discrète, je me faufile dans le fond de la salle, en espérant que la conversation va pouvoir reprendre tranquillement … c’est alors que Sœur Joséphine me montre du doigt et dit : « merci, Mon Père, de leur avoir donné Dieu ! » deux fois ! En fait, elle ne faisait que redire ce que Dieu a dit de son Fils sur le Thabor : Jésus, que nous recevons dans la communion, c’est Dieu ! Celui que l’on « écoute », en Israël, c’est Dieu !!!
Et puis la première partie de la phrase (c’est mon Fils bien-aimé) annonce notre propre destinée, notre propre appel : le baptême nous rend exactement semblables au Christ, de sorte que l’amour de Dieu accompagne chacun de nos pas, au plan de l’attachement pour nous, sans doute -il est toujours nécessaire de redire la tendresse de Dieu pour ses créatures-, mais aussi au plan métaphysique, car si Dieu cessait de nous regarder un seul instant, nous retournerions au néant, « nous tenons de lui la vie, la croissance et l’être (préface du missel)».
Nous ne sommes pas divins par nature, mais nous le sommes par adoption, ce qui a de quoi faire briller nos yeux : « il est heureux que nous soyons ici !»
P. Emmanuel d'Andigné
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire