Homélie du 5ème dimanche du Temps ordinaire - Année B
Le livre de Job appartient à la littérature sapientielle, entendez la « sagesse » d’Israël. Cette sagesse a connu grossièrement trois périodes : la première que l’on pourrait qualifier d’enfance, la seconde qui serait de type plus « adolescent », et enfin la troisième, l’âge de la maturité.
Le livre de Ben Sirac (et non Chirac !) le Sage est le meilleur représentant de la première période ; comme dans toutes les civilisations, les anciens transmettent leur expérience aux jeunes, en leur disant : « fais le bien, évite le mal, Sois prudent … et en ce qui concerne Dieu, il y aura une rétribution automatique et certaine, il donne aux justes richesse et santé, tandis qu’aux méchants il donne pauvreté et malheurs.
Le livre des psaumes (qui est traversé par les trois périodes) est rempli de cette idée de la rétribution, mais ce « livre » n’a pas été écrit d’une traite, il a visiblement été écrit sur plusieurs siècles : c’est la raison pour laquelle certains psaumes témoignent de la deuxième période, celle de la « crise » de la sagesse d’Israël.
Le représentant le plus célèbre de la deuxième période est évidemment Qohélet, ou si vous préférez son surnom « l’Ecclésiaste », celui qui a écrit le fameux « vanité des vanités, tout est vanité » … où le juste se plaint de ce qu’il y a des méchants en pleine santé et très riches et des hommes parfaitement honnêtes pauvres et malades !
Et c’est sans doute la pratique des psaumes qui a permis aux Israélites de traverser cette période en maintenant le lien avec Dieu, malgré le doute et la souffrance.
Job est un livre plus tardif qui témoigne de la troisième période : cette période est caractérisée par au moins choses : la vérité de la prière, ne pas pécher lorsque l’on souffre, ne jamais lâcher la main de Dieu.
Ne jamais lâcher la main de Dieu, c’est le fameux passage « le Seigneur a donné, le Seigneur a repris, que le nom du seigneur soit béni … »Job, 1,21.
Ne pas pécher quand on souffre, c’est un refrain qui revient régulièrement, alors que dans la première période, on ne péchait pas, bien volontiers, quand on n’avait pas de problème … mais une fois qu’on avait basculé dans un ou deux péchés, alors on n’avait plus qu’à continuer, tant on était sûrs qu’il y avait deux camps et que quand on était dans le mauvais, je veux dire celui des malheurs et de la pauvreté, on pouvait pécher tranquillement, puisque de toutes façons, Dieu nous avait oubliés …
Contrairement aux apparences, je ne suis pas en train de parler d’un sujet ancien ; aujourd’hui, au XXIème siècle, il y a des gens qui ne sont pas réellement chrétiens et qui tiennent ce raisonnement : tant que tout allait bien, je priais et puis j’ai eu tel ou tel malheur, Dieu n’a rien fait, alors j’ai tout plaqué sur le plan religieux (vous n’avez jamais entendu ça ?)
Ne jamais lâcher la main de Dieu. Ne pas pécher lorsque l’on souffre. La vérité de la prière …
Jusqu’alors, les prières faites à Dieu par les souffrants étaient lissées : on se tournait vers Dieu, mais en masquant un peu la réalité de peur d’offenser Dieu, de se mettre Dieu à dos … Job est pétri de vérité, et il ne laisse rien de sa souffrance dans son cri vers Dieu. Cette vérité est récompensée par Dieu, on le sait bien : à la fin du livre, Job retrouve santé, richesse, famille, de façon bien plus abondante qu’auparavant.
Cependant, le livre de Job a une grande faiblesse, que le judaïsme a encore aujourd’hui : il sait être avec Dieu en toutes circonstances mais Dieu ne sait pas être avec lui, il est trop loin, finalement … il manquait l’Incarnation ! L’Evangile, c’est Dieu qui sait être avec nous : Im anou El, Emmanuel, Dieu avec nous ! Dieu se fait homme
Avec Israël, Dieu a déjà montré sa tendresse et sa volonté de guérir … avec son Fils incarné, Dieu lui-même a mal, si l’on peut dire.
1 Corinthiens 1 : « Que reste-t-il donc des sages ? Que reste-t-il des scribes ou des raisonneurs d'ici-bas ? La sagesse du monde, Dieu ne l'a-t-il pas rendue folle ? Puisque le monde, avec toute sa sagesse, n'a pas su reconnaître Dieu à travers les œuvres de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu'est la proclamation de l'Évangile. Alors que les Juifs réclament les signes du Messie, et que le monde grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l'homme. »
Saint Paul a donc décrit avec précision la nouvelle sagesse que Jésus est venu enseigner, il reste simplement à donner une précision, grâce à un verset de l’Evangile : Il guérit toutes sortes de malades, il chassa beaucoup d'esprits mauvais et il les empêchait de parler, parce qu'ils savaient, eux, qui il était.
Bizarre …
Jésus commence sa vie publique en Galilée, là où il y a un monde fou et des échanges commerciaux internationaux pour mieux se faire connaître … et pourtant, quand il opère des exorcismes, il dit aux démons de se taire et ne pas dire qui il est !
Il y a deux raisons à cela : la première est que on ne peut rien comprendre à Jésus si l’on ne connaît pas encore sa passion, sa mort et sa résurrection … il n’est pas venu pour jouer au médecin, mais pour nous faire passer de la vie à la Vie éternelle, du péché à la grâce, des ténèbres à la lumière sans déclin.
Et la seconde concerne la sagesse : la sagesse chrétienne n’est pas une gnose, c’est-à-dire une pure connaissance, une connaissance qui suffit à tout et qui fait que celui qui la possède possède le Ciel.
La sagesse chrétienne est une marche à la suite de Jésus (« viens et suis-moi !»), une façon de vivre qui ne lâche jamais la main du Christ, un lien vital avec une personne.
Ce lien fait que même les pauvres peuvent prétendre à ce royaume, ce lien fait que les exigences morales deviennent intéressantes, exaltantes, même, attirantes, parce que les principes ne nourrissent pas longtemps et on peut s’asseoir dessus facilement … tandis que lâcher quelqu’un est une opération plus difficile et à vrai dire fort périlleuse, car nous avons besoin d’être aimés par quelqu’un qui nous comprenne et ne nous lâche jamais.
Je suggère que nous demandions à Dieu qu’il nous donne sa sagesse : ce mélange de connaissance et d’amour qui nous fera ressembler au Christ…
Nous sommes chargés d’être la présence du Christ au XXIème siècle.
P. Emmanuel d'Andigné
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