Homélie de la fête de la très Sainte trinité - Année A
En parlant avec des collégiens l’autre jour j’ai pu m’apercevoir de l’ignorance presque totale de l’existence de deux formes dans le rite latin. Ils savaient qu’il existait deux traditions grosso modo dans le monde : la tradition occidentale (L’Ouest de l’Europe, en Amérique du Nord et du sud, en Afrique, en Océanie et dans la plus grande partie de l’Asie) et la tradition orientale (Russie, grèce Est de l’Europe, Moyen-Orient). Mais à l’intérieur du rite occidental (latin ou romain) il y a désormais deux formes reconnues : la forme ordinaire (que l’on pratique à Sainte Bernadette) et la forme extraordinaire (indûment surnommée Messe de Saint Pie V, mais ce n’est pas le sujet).
Et voici ce qu’écrivit Benoît XVI en 2007, et que nous pouvons mettre en application dès aujourd’hui et maintenant
les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement: dans l’ancien Missel pourront être et devront être insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles préfaces. […] Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a été souvent fait jusqu’à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien.
Et plutôt que de simplement appliquer la loi promulguée par le Saint-Père -ça, c’est le travail des spécialistes de la liturgie- je vous propose d’aller plus loin, avec le cœur, en nous laissant enrichir par la forme du rite que nous ne pratiquons pas. Il y a un bon exemple cette semaine … on pratique, dans la forme extraordinaire ce que l’on appelle « l’octave de la Pentecôte (comme nous le faisons à Pâques) : tous les jours, pendant une semaine, c’est la Pentecôte ! Aujourd’hui, dans leur calendrier, c’est la Trinité, dimanche prochain la Fête-Dieu … mais ensuite, il n’y a pas de temps ordinaire, il y le « 3ème » , le 4ème , le 5ème … « dimanche après la Pentecôte »
Par cette pratique, on comprend que tout ce qui se passe dans l’Eglise, tout ce qui s’est passé après l’évènement fondateur de la Pentecôte a été le fruit de l’action de l’Esprit de Dieu … ça n’est pas bête … je trouve ça même enrichissant, en particulier pour tous nos jeunes amis qui sont confirmés depuis peu ou qui vont bientôt être confirmés et qui pourraient se dire qu’après la confirmation, on reprend le train-train ordinaire et le temps fait son œuvre qui peut nous mener à l’oubli. Au contraire ! L’Esprit Saint continue d’agir, et aimerait bien qu’on collabore à son action
En tous les cas, que Dieu nous préserve de l’orgueil et de la naïveté qui consisterait à croire que notre façon de célébrer la liturgie est évidemment la bonne, et que l’autre façon serait évidemment la mauvaise …
Lorsque nous nous trouvons en face du mystère de la sainte Trinité, nous pouvons l’aborder de façon intellectuelle (c’est horriblement difficile !) ou alors de façon mystique (ce qui est beaucoup plus simple !!!). L’image me vient d’une montagne à deux versants, dont l’un est très abrupt et dangereux, et l’autre au contraire, à pente douce. Curieusement, en face du versant le plus compliqué qu’est l’approche intellectuelle, nous nous précipitons dans cette voie alors que l’autre se présente à nous, plus longue, plus simple, et plus sûre.
Je voudrais vous raconter un fait réel, survenu dans la vie d’un grand théologien, Hans urs von Balthazar : il ne s’agit pas une conversion mais plutôt de ce que l’on pourrait appeler une effusion de l’Esprit.
Alors qu’il marchait sur un chemin, il fut tout à coup saisi par le mystère de Dieu. Ce fut une illumination dont il n’a pas pu mesurer la durée, phénomène au cours duquel il a été touché et il précise qu’il fut touché –je cite- « par la gloire de Dieu »
Et toute sa vie, dit-il, n’a été que l’expression imparfaite, ligne après ligne, de cette expérience mystique. Et il définit ainsi la théologie : « la théologie est expression de l’impression produite dans l’âme par la Gloire de Dieu »
Vous voyez bien que cette définition ne s’applique pas simplement aux théologiens : vous êtes tous en contact avec la gloire de Dieu, surtout à la messe, mais aussi à chaque fois que vous priez, et votre vie peut devenir « l’expression … » »
Il est vrai que pour qu’on parle de théologie, il faut aussi un bagage philosophique, sans lequel la rigueur de pensée risque de faire défaut … On ne peut pas faire de la théologie sans avoir fait de la philosophie.
Un autre fait mérite d’être mentionné : il s’agit de la rencontre d’Adrienne von Speyr, mystique allemande d’origine protestante passée au catholicisme, dont Balthazar a dit que l’inspiration a été décisive dans son œuvre théologique … il se peut qu’on soit plus performant qu’un théologien sans avoir fait toutes ces études.
J’ai pour preuve un exemple récent : pendant une année, j’ai fait du catéchisme à des 5ème à partir des icônes, et aux deux-tiers de l’année, nous sommes partis au monastère de Martigné-Briand ; à la fin d’un entretien que Sœur marie eut avec les collégiens, elle s’émerveilla en déclarant : « vous êtres de vrais théologiens ! »Et en effet, j’ai pu constater leur finesse de lecture des icônes, simplement avec leur cœur et leur relation avec Dieu.
Il suffit de se mettre en présence de Dieu, par exemple, par un beau, un vrai, un lent signe de croix, et de se laisser irradier par le mystère même ; ou alors on peut contempler longuement une icône et se laisser instruire par le mystère même …
Année après année, la liturgie est aussi une aide indispensable, avec ses magnifiques prières, pesées et parfaites sur le plan doctrinal : elle nous donne les deux pôles de ce grand mystère (vous verrez dans la préface), à savoir l’Unité de Dieu (il y a un seul Dieu, un seul Seigneur, le christianisme est un monothéisme) et d’autre part la réalité de chacune des personnes, dont on peut dire des choses précises et adorer comme des personnes divines.
Puisque notre intelligence est discursive (elle fait des discours), eh bien faisons des discours sur Dieu, les uns après les autres, et approchons ainsi le mystère de la gloire, qui en fait touche notre être tout entier, avant que notre intelligence ne soit capable d’exprimer des choses.
Balthazar disait qu’il fallait faire de la « théologie à genoux » : il voulait dire par là ne pas en faire une discipline purement intellectuelle ; eh bien nous-mêmes, tombons à genoux devant le mystère de la Trinité, et il nous sera révélé. Amen
P. Emmanuel d'Andigné