Homélie du matin de Noël
Pour bien comprendre la suite de mon homélie, il est nécessaire de faire un rappel un peu technique sur l’anatomie humaine et plus précisément sur l’oeil.
En effet, nous avons dans les yeux des « photorécepteurs » (récepteurs de lumière) qui nous permettent de bien voir le jour (les cônes, 5 à 7 millions d’exemplaire dans chaque oeil) et les bâtonnets (130 millions d’exemplaires par oeil) qui en raison de leur extrême sensibilité à la lumière attrapent n’importe quelle source lumineuse et donc nous aident à bien voir la nuit.
Je pourrais me reposer sur ce détail et bien d’autres de l’extraordinaire anatomie de l’être humain pour nous mettre sur la voie de l’affirmation de l’existence de Dieu … mais l’existence des bâtonnets et des cônes dans les yeux nous permet aussi une méditation sur la vie spirituelle … et spécialement le jour de Noël ! Vous allez voir pourquoi.
C’est dans la nuit et dans la pauvreté que Jésus a vu le jour ; c’est dans la nuit et la nudité que Jésus a sauvé le monde sur la croix … et ceux qui ont vu ces deux scènes -la première crèche et la première croix (7 avril 30)- ont eu tendance, et c’est bien compréhensible, à regarder la chose avec seulement les yeux matériels, qui voient un bébé menacé et pauvre qui n’a pas d’avenir ou alors un crucifié qui a prétendu être le fils de Dieu et qui meurt …
Et puis il y a ceux qui ont développé les yeux du coeur : « l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le coeur » a écrit Saint-Exupéry (le Petit Prince) ; ceux qui regardent Dieu avec le coeur découvrent qu’il existe deux sortes de nuits et deux sortes de jour, la nuit et le jour matériel, la nuit et le jour spirituel ; et de même que nous avons des cônes et des bâtonnets matériels, nous avons des « cônes » et des « bâtonnets » spirituels …
Il se trouve que c’est souvent quand il y a la nuit matérielle ou psychologique que l’on développe nos « bâtonnets » spirituels, nous développons alors une forme de « vision nocturne » qui nous permet de saisir où se trouve la vraie lumière, la lumière divine, « celle qui éclaire tout homme en venant dans le monde », comme vient de le dire saint Jean dans l’Evangile.
Saint Jean de la croix, c’est bien connu, a au 16ème siècle écrit un poème très célèbre « O noche che guiaste … o noche amable (ô nuit qui m’a guidé, ô nuit aimable …)». Il voulait réformer le carmel, mais le carmel ne le voulait pas : il a donc subi une véritable persécution, enfermé par exemple dans une cage d’escalier par ses propres confrères ( !) ; et dans cette nuit matérielle et psychologique, il a eu le temps de développer sa « vision intérieure », et il nous permet d’aller plus loin que la belle phrase de Saint-Exupéry …
Il décrit le progrès spirituel en trois étapes : le crépuscule, la nuit noire et l’aube, où le chrétien avance, en fait, vers le vrai jour : l’Eternité ; il développe alors l’amour et le désir de Dieu dans « la nuit de la foi » ; on parle de nuit, parce que nous ne voyons pas Dieu avec nos yeux de chair, tant que nous sommes ici-bas.
« O noche que juntaste amado con amada »
O nuit qui fait se rejoindre l’aimé et sa bien-aimée
N’est-ce pas vrai que c’est la nuit que se rejoignent ceux qui s’aiment ?
Et ça n’est qu’au Ciel que nous nous servirons de nos « cônes » spirituels.
Alors, le jour de Noël, le petit bébé menacé et pauvre devient le début de la renaissance du monde, le Fils de Dieu fait homme qui a la puissance de sauver l’homme du péché et de la mort
Et la croix est la plus belle définition de l’amour qu’on puisse donner (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime » dit Jésus) ; sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la sainte face a décrit la venue du Fils de Dieu dans la chair par ces mots admirables : « aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » … c’est exactement ce que Dieu fait dans l’Incarnation.
Alors bien sûr, nous n’en resterons pas là, à regarder ce que Dieu fait, même avec les yeux du coeur, nous allons tâcher d’avancer dans la nuit de la foi.
Et là, à ce sujet, il se trouve que Benoît XVI nous a fait un beau cadeau, le 19 décembre dernier : il a déclaré vénérable le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (c’est la rampe de lancement pour la béatification, si Dieu le veut !).
Eh bien, je vous suggère de vous renseigner sur cet homme, de lire son oeuvre, et d’apprendre de lui comment on avance dans la nuit. Je veux voir Dieu, son chef d’oeuvre, est un pavé, mais une mine de renseignements !
Mais s’il devient bienheureux ou saint, ce sera aussi et surtout un compagnon de route, pour avancer dans la vie et pour avancer vers la Vie éternelle, amen.
P. Emmanuel d'Andigné